Klodia Körber
Klodia est bien née, en l'an 1972, à Wiesbaden, dans une famille de la bourgeoisie allemande. Un père vétéran de la guerre, décoré de multiples fois et une mère professeur d'université. Elle grandit dans les livres, mais elle apprendrait plus tard que ce n'était pas bien.
Elle avait dix ans quand dans son école, privée, un membre de la Gestapo vint mener une enquête de mœurs auprès des enfants. Elle n'aurait pu savoir qu'étudier Marx était dangereux, que lire Erich Maria Remarque était une trahison de ses amies, ou encore que Freud cherchait à rabaisser ses professeurs. Elle ne savait pas encore qu'en rentrant le soir, elle ne trouverait pas ses parents mais une voiture des services sociaux. Elle ignorait qu'elle serait emmenée dans un centre de redressement. Rien n'aurait pu lui laisser présager que sa vie allait changer pour toujours, pour un livre.
Un livre qu'elle brûla elle-même, sous le regard bleu d'un monstre à visage humain.
Pendant que le Libre brûlait, la flamme de la Résistance se réveillait pour toujours...
Son adolescence commença dans un centre de rééducation pour jeunes allemands, où elle apprit à entrer dans le rang, à être une bonne nazie vénérant le führer et apprenant qu'il fallait souffrir pour lui. La culture était nazie, la religion était nazie, la haine était nazie.
Jeune adulte, elle commença une vie de petits boulots, d'abord à Franckfurt, avant de partir pour Neue Europa, loin de son passé. Elle fut serveuse, faisant des rencontres et vivant une vie somme toute normale. Elle n'avait jamais cessé de haïr les nazis, mais elle savait le cacher à présent. Klodia trouva l'aide de Monsieur Vanderheven, un néerlandais qui tenait un petit restaurant dans la partie bruxelloise de Neue Europa. Ainsi pour ses vingt ans elle avait une vie calme, légèrement prolétaire, mais suffisante pour elle.
La flamme se ralluma lorsque son petit ami fut arrêté pour avoir aidé à faire passer des "terroristes" hors d'Europe. Elle n'en savait rien, aussi ne fut-elle pas incarcérée. Le choc fut terrible cependant: pour la deuxième fois, les nazis lui prenaient ce qu'elle avait de plus cher, brisant sa vie en un instant. Cette fois elle décida que la prochaine personne qui se ferait arrêter serait elle-même.
Ainsi elle reprit le flambeau, entrant en contact avec la Résistance, faisant des aller-retours entre Paris et Rotterdam. Elle ne se fit pas prendre cependant, se révélant assez rapidement avoir les réflexes d'un excellent élément. De nombreuses fois elle échappa aux mailles du filet, jouant sur la corde raide pendant près de deux ans. Sa cellule fut finalement démantelée et elle s'enfuit du côté de Paris.
A Paris, Klodia ne mit pas longtemps à rechercher de nouveau la Résistance, selon les signes de reconnaissance qu'elle avait appris dans le nord de Neue Europa. Elle fut repérée par Alfred Trachtenbeg, un membre ancien de la Résistance encore vivant après vingt années de service. Celui-ci la prit sous son aile rapidement, lui apprenant tout ce qu'il y avait à savoir sur le régime nazi et sur le relais d'informations. A vingt cinq ans elle devint agent de liaison, entrant en contact avec les résistants infiltrés chez les fascistes ainsi qu'à la Kommandatur.
Lors d'une de ses missions, elle apprit qu'un membre de la SD particulièrement efficace posait un problème à plusieurs cellules. Sans compter qu'il semblait résister à l'Ubik, ayant survécu au poison qu'on lui avait administré sans presque aucune conséquence. Elle proposa elle-même à Trachtenberg de mettre le ss hors d'état de nuire après avoir découvert son secret.
Après avoir récolté nombre d'informations personnelles, elle approcha Müller dans le cabaret à officiers que celui-ci fréquentait de temps en temps. Il lui fut difficile de percer ses défenses au premier abord, ce qui à la fois l'emplit de frustration et de respect. Il ne fut pas dur de l'avoir dans son lit, mais l'homme ne se laissait pas aller, même dans les moments de faiblesse. Il lui fallut s'investir beaucoup plus qu'elle ne l'aurait pensé pour qu'il commence enfin à se relâcher quelque peu. Mais en s'investissant autant, elle commença à s'habituer à lui, à mieux le comprendre, et finalement à s'attacher.
Leur relation dura tout de même dix mois, pendant lesquels Klodia n'avait pas abandonné son travail d'agent de liaison. Elle savait qu'il était tombé amoureux d'elle, mais le haïssait toujours d'être un nazi. Sans pouvoir toutefois le haïr autant qu'elle le devrait. Elle fit cependant une erreur, volant des documents confidentiels à Müller pendant son sommeil, sûre que celui-ci ne la soupçonnait pas. Elle apprit à ses dépends que le Colonel Klausmann avait quant à lui des soupçons.
Il appréhenda la jeune femme le lendemain, mais sans en parler à qui que ce soit, afin de protéger la réputation de l'un de ses meilleurs éléments. Il s'occupa d'elle personnellement, la torturant pendant une journée entière, étant si cruel qu'elle ne put qu'avouer être une résistante engagée pour couler et assassiner le Major Müller. Quand celui-ci apparut le soir, qu'il fut informé, elle savait qu'elle allait mourir. Qu'il allait la haïr comme elle pensait le haïr. L'horreur et la terreur l'emplirent quand il proposa de l'exécuter de manière sale et immonde dans les ghettos, là-même où étaient ceux qu'elle avait œuvré à protéger.
Elle ne pensait pas que son venin d'amour avait touché aussi profondément l'homme, celui-ci abattant sous ses yeux ébahis son propre commandant, avant de maquiller le crime avec un sang froid exemplaire. Même quand il se tira une balle dans l'épaule il ne se relâcha pas. Il ne montra de signe de faiblesse que lorsqu'il chercha ses raisons. Il n'eut pour réponse que sa violence, sa rage et sa souffrance. Il l'encaissa de plein fouet, son épaule saignant sans un bruit. Il parla de trahison, elle lui parla de résistance. Il lui parla de nation, elle lui parla de liberté. Il lui parla de devoir, elle lui parla de droits. Il lui parla d'amour, elle lui parla de haine.
Et il la laissa partir.
Elle ne pensait plus le revoir, ayant échoué sa mission, ayant perdu celui qui avait le plus compté pendant près d'un an, en bien et en mal. C'est quand elle était prête à s'enfuir de nouveau, sûre que les ss ne tarderaient pas à frapper à sa porte, qu'il l'appela. Il lui donna rendez-vous dans leur chambre habituelle. Elle savait que c'était un piège, mais ne put refuser. Elle fit bien: pendant toute une nuit il lui donna toutes les informations importantes auxquelles il pouvait penser. De la hiérarchie de la SD aux missions actuelles en parlant des nazis infiltrés. Il donna tout ce qu'il pouvait, bien plus que les tribunaux auraient eu besoin pour appliquer la peine capitale. Et quand au bout de plusieurs heures il eut fini, il lui demanda d'intégrer la Résistance. Elle ne comprenait pas, mais en même temps elle comprenait.
Elle ne remit les informations qu'à son mentor, qui vérifia celles qu'il pouvait, en confirmant l'authenticité. Et fit donc entrer Müller. Une fois encore, une décision qu'elle ne comprit pas sur le moment, mais qu'elle ne regrette pas.