« Vous serrez bientôt entouré de gens sans mœurs, gardez vous bien de les imiter. Ceux qui chercherons l'outrage en prétendant que vous êtes les fruits pourris d'une branche morte, que vous n'êtes que du liseron, gardez vous bien de leur donner un quelconque crédit. Quelle est donc notre faiblesse ? L'empire des circonstances qui nous a conduit à un triomphe que certains jugent prématuré. Ne vous laissez pas voler ce projet sublime et si vous n'avez pas la force de lutter ayez au moins la force de résister... »
Ce sont là les derniers mots de mon père avant qu'il ne soit emporté par une maladie poitrinaire. Le courtisan se retirait dans un souffle... La vie me privait d'un homme que je n'avais qu'à peine connu en vérité. Mis en nourrice dès ma naissance, je n'avais de contact qu'avec ma mère qui me visitait une fois l'an. La période estivale qu'elle passait avec moi me semblait interminable, il me faut bien l'avouer maintenant car j'abandonnais le temps de quelques semaines, mon exploration de la campagne etmes jeux d'enfants au grand air pour m'enfermer dans des discussions de salon. Je n'avais fait la connaissance de mon père que vers l'age de 6 ans. Une rencontre plus que fugace puisqu'elle ne dura que le temps de m’amener au séminaire de l'oratoire ou je devais passer les 10 prochaines années de ma vie. Durant ces 10 années je ne devais pas le voir beaucoup plus, si ce n'est à quelques occasions ou il venait quémander de l'argent auprès de mon oncle.
« nous ne laisserons personne salir votre nom père ! »
une fois encore mon frère parlait avec véhémence. Il n'avait pas hérité de son surnom de « roquet du royal » pour rien. Mon frère ne savait qu'aboyer et se répandre en scandales. De toute évidence, il n'avait pas compris le sens caché des mots de mon père... Quel dommage. Mais il était difficile d'en attendre plus de sa part. De 6 ans mon cadet, il avait fait une carrière militaire médiocre mais jusque là chanceuse. Toutefois, il manquait de sagesse, de finesse, l'affrontement direct et brutal était sa réponse à tout, tant sur le champ de bataille que dans sa vie civile. Malgré un beau mariage, il avait la réputation d’être volage et brutal.
Dans la petite chambre situé sous les toits de Versailles, mon oncle, ce cher Francois-Xavier, regardait son frère mourir. Il était le dernier de sa génération et en dépit de son masque morgue, je percevais dans ses yeux une lueur de triomphe. Cet oncle, archevêque d'Albi, avait été mon inspirateur, mon protecteur, il avait su développer en moi le goût pour l'entregent, pour la « bonne société ». Il m'avait prit sous son aile, fabriqué, dirigé...
Je me rappelle souvent le jour de mon ordination. Nous étions tous les deux, priant comme il est d'usage. Devenir n’était pas de mon fait mais il était le premier pas vers un titre et mon oncle en était bien plus conscient que moi. Alors que nous nous relevions, il s'était tourné vers moi et tout en ajustant mon étole, il m'avait confié ceci.
« Mon neveu, je suis sur que tu ne me décevras pas. Tu es promis a un grand avenir... »
« si Dieu en a le désir mon oncle »
« Dieu, n'as rien a voir la dedans... »
je n'avais pas compris ce qu'il avait voulu dire. Je n'avais pas saisi cette lueur dans son regard. Ce n'est que quelques semaines plus tard, alors que nous nous rendions a l'assemblée du clergé qu'il revint sur cette discussion.
« Tu as sans doute déjà perçu des murmures lorsque notre nom était prononcé... des rumeurs... Notre famille serait maudite... »
« il est vrai que j'en ai déjà entendu parlé... L'été dernier je suis parvenu à remonter à notre ancetre Raoul... Mort lors d'un accident de chasse. Serait il à l'origine de cette malédiction ? Pourquoi le diable s'en prendrait il à notre maison »
« Mon cher neveu, certains naissent pour occuper de grandes places, étendre la puissance d'une famille et inscrire son nom en lettres d'or dans le grand livre de notre royaume. D'autres ne se plaisent que dans la boue et la vilenie. Dans notre famille, ces tendances sont, à tout le moins, exacerbés... de chaque génération de Saint-Julien, il n'en est qu'un qui connait le lustre. Les autres sombrent et meurs. »
« ou sont pris de démence... »
Mon oncle fixa sur moi son regard d'un bleu si intense. Il n'eut pas besoin de parler, ses yeux parlaient pour lui, ils semblaient dire : « n'apprends rien, ne dis rien, prévois et écoute, cherche toujours la confirmation et tu ne seras jamais pris en défaut. »
Tout remontais au père de Raoul de Saint-Julien, Odelin. Odelin avait prêté beaucoup d'argent, aux nobles, au trésor, à l'armée, dans l'espoir d'entrer dans la bonne société et s'extirper de son statut de simple marchand. Seulement voilà, l'époque n'était pas la même qu'aujourd'hui, il n'était pas si simple d'obtenir un titre à l'époque. Il se faisait si insistant que les nobles finirent par rembourser leurs emprunts pour éviter d'avoir à le croiser. Odelin obtint son titre mais les archives familiales n'en disent pas plus, les archives ont été falsifiées de façon assez grossières mais elles rappellent la devise de la famille : « Optimus Ultimum Est ».
Ce que me disait mon oncle prenait aujourd'hui tout son sens. Un par génération. Et ce serait moi.
Les oratoriens m'avait donné la meilleure éducation ainsi que de belles manières, l'assemblée m'avait permis de me faire un nom et les salons avaient affiné mon esprit et mon sens... du relationnel. Seulement voilà, être abbé de Fécamp ne me suffisait guère, je voulais imposer ma marque au pays et pas seulement dans les salons de la rue Saint Dominique ou chez madame de Coigny.
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