Assis sur un banc je contemplais l’onde claire du lac en face de moi. La verdure m’entourait, les arbres bruissaient sous le léger vent tiède de l’après-midi. Je pouvais sentir cet air glisser sur mon visage, entre mes cheveux. Mes mains posées sur mes genoux, paumes tournées vers le ciel, me semblaient collecter la lumière divine, nourrissante et renforçante. Un sourire aux lèvres accompagnait la pleine conscience de la simplicité de l’environnement.
Un bruissement légèrement différent, un qui n’était pas provoqué par le vent, me tira de ma prière silencieuse. Un bruit de pas, puis un second. Mon sourire apaisé se changea en un sourire amusé alors que les bruits semblaient chercher à se faire aussi discrets que possible. Une voix provint alors de derrière moi, une voix très douce, cristalline mais chuchotée.
- Papa, il est temps d’y aller.
- J’arrive Sarilya, laisse moi juste quelques instants.
Me levant, je passais ma main au-dessus du banc, lâchant un léger soupir serein. Le bois et la pierre qui m’avaient servi d’assise se disloquèrent alors dans un ballet de molécules. Je pouvais les voir danser sous ma main alors que je redonnais à cet environnement l’aspect pur et naturel qu’il avait avant mon arrivée. Ce monde appartenait-il à un prince ? Je ne m’étais pas posé la question jusque là, je l’avais juste trouvé là, vierge de toute entité sentiente, parfaitement propice à un moment de prière et d’introspection.
Je levais alors mes yeux en direction de Sarilya. Ma fille qui grandissait si vite. En soit elle reprenait surtout rapidement l’âge que son âme avait déjà, sans avoir eu de corps physique ni mental pour le manifester. En y repensant son apparence physique humanoïde correspondait à présent à l’âge réel qu’elle avait, 14 ans, et pourtant son corps d’étoile n’en finissait pas de s’étendre. Allait-il réellement cesser de grandir un jour ? Rien n’était moins sûr.
Sa peau de lumière pure brillait dans le jour de sa flamme subtile. M’approchant d’elle je lui pris alors la main, passant l’autre dans ses cheveux de rayons de lumière. La prenant finalement dans mes bras je la laissais m’envelopper de ses flammes spirituelles, s'étendant tout autour de moi pour m’accueillir dans sa lumière. Il ne lui fallut alors pas longtemps pour faire apparaître devant elle un halo qui nous mènerait sur Terre. Je restais à ses côtés, près de son coeur, une main toujours posé sur celui-ci .
- Tu sais Sarilya, lorsque je me suis marié avec ta mère pour la première fois j’avais été pris d’un terrible doute à peu près au même moment que maintenant. Est-ce que j’étais vraiment assez bien pour elle ? Est-ce que je pourrais véritablement la rendre heureuse ?
Sentant une vague d’un mélange subtil d’étonnement et d’indignation je ne pus m’empêcher d’éclater de rire.
- Rassure-toi ce temps de doutes est à présent derrière moi, je ne commettrais plus les même erreurs. Allons-y.
Franchir le portail nous mena directement en orbite de la Terre que je contemplais alors avec émerveillement. A travers notre lien j’entendis alors une voix parvenir à Sarilya : “Emmène-moi.” Je lui souris tout en sortant un téléphone portable. “J’ai bien reçu ton appel. Prépare tes affaires pour un long voyage car dans trois jours tu partiras.” Tel fut le SMS que j’envoyais en réponse. Cet appareil n’avait aucun problème à trouver son chemin depuis un simple contact psychique, un appel spirituel. Je ne pouvais pas faire ça aujourd’hui, elle m’aurait tué, tout le monde m’aurait tué. Fut un temps pourtant, je l’aurais fait…
Finalement nous descendîmes sur Terre, Sarilya s’éteignant lentement jusqu’à se retrouver à nouveau dans mes bras, soutenus par les sandales de Nataraja. Nous posant alors dans le jardin, la jeune étoile se dirigea en courant dans la maison, elle aussi voulait aider sa mère à se préparer. Elle allait également pouvoir revêtir sa propre robe.
Alors qu’elle disparaissait par la porte menant sur le jardin se fut Orion qui en sorti. Ah Orion… si tu savais à quel point je suis fier de toi. Toi qui buvais mes histoires alors que tu n’étais encore qu’un enfant au point de suivre ma voie, toi qui m’a accordé ton pardon alors c’est toi qui a le plus souffert de mon départ. Quand je te vois avec un tel sourire, avec un tel bonheur dans le regard…
À ses côtés se trouvait Miwt, lui tenant la main. Je ne pu m’empêcher de ressentir un pincement au coeur en les voyant ensemble, mais un pincement de bonheur, de celui qui ramène notre âme dans des souvenirs anciens d’amour que l’on souhaite voir naître chez autrui.
Miwt, je sais que je te dois beaucoup pour cela, tu as accepté Orion à tes côtés. Je ne tenais pas à aller trop vite, cela ne faisait après tout que quelques petits mois qu’ils étaient ensembles mais il y avait entre eux un lien réel. Elle me faisait penser à ces photos de chats égyptiens, couverte d’une fourrure bronze presque d’or tachetée de noir, ouvrant ses grands yeux verts sur le monde avec un intérêt non dissimulé. Historienne, elle avait une passion toute particulière pour la Terre et - est-ce que la nature d’une personne peut la marquer à ce point ? - pour l’Égypte antique.
- Papa, tu n’es pas encore prêt !?
- Calme toi Orion. Miwt, prends ce bracelet. Je sais que les humains arrivent à se convaincre de ne pas voir bien des choses mais ceci convaincra même les moins fermés.
Aurais-je songé un jour être prêt à cacher la vérité à quelqu’un pourtant prêt à la voir ? Je ne pense pas mais aujourd’hui était particulier. Il suffisait alors de connaître le fonctionnement du cerveau pour savoir quelle émission lui dirait de ne pas se concentrer sur un point. Rien de bien sorcier en soi, je ne cherchais pas à la rendre invisible ni même à empêcher tout le monde de la voir, uniquement ceux qui n’étaient pas entièrement éveillés… Où était-elle passée ? Ah… Oui la voilà… Peut-être avais-je mis un peu trop de coeur à l’ouvrage…
- Bien mon grand, je dois me préparer en effet.
Accompagné d’Orion et de Miwt, sûrement… oui, elle était bien là… j’entrais à mon tour dans la maison pour enfiler mon costume, et quel costume… J’avais longuement hésité avant de finalement être convaincu par Stella laquelle refusant que je ne sois pas aussi beau que sa mère.
Ce fut Orion qui nous conduisit jusqu’au temple. Alicia était accompagnée de Stella et de Sarilya qui l’accompagnerait en tant que demoiselles d’honneur. Pour ma part Orion serait à mes côtés en guise de témoin, nous avions déjà discuté de tout cela ensemble à le fait que nos enfants soient nos témoins nous paraissait normal. C’était notre famille entière qui se reconstruisait. Je sentais bien la nervosité de Miwt, et je me penchait vers elle. Les quelques mots que je murmurais à son unique attention lui tira un léger ronronnement ainsi qu’un frémissement de ses oreilles.
Lorsque la voiture s’arrêta devant le temple je ne put retenir un instant de stupeur. Tournant la tête vers Alicia je pu voir sur son visage le sourire radieux de celle dont la surprise a parfaitement atteint son objectif. Alors que nous sortions de la voiture je ne pu retenir une larme d’émotion. Je m’approchais alors de visages que je n’avais pas revu depuis bien des années. Des anciens collègues, des anciens amis perdus de vue après bien des erreurs, avais-je vraiment cette chance ? Est-ce que tant de gens n’attendaient rien de plus qu’une prise de conscience de ma part, rien d’autre que le fait d’arrêter de s’éloigner d’eux… ?
Les amis d’Alicia, mes anciens amis et puis le reste, mes nouveaux compagnons de voyage ainsi que les invités dont j’attendais le moins la présence. Oh, les invitations que j’avais transmis étaient sincères, en aucun cas il n’y avait la moindre lettre dont j’avais regretté l’envoi après l’avoir fait passer dans un infime portail. Et ils étaient tous là.
Chacun m’avait apporté quelque chose, volontairement ou non. Il y avait bien évidemment le tout premier d’entre eux, premier que j’avais eu l’occasion de rencontrer mais également premier plus littéralement, Nataraja dont j’avais assisté à l’abandon de la puissance alors que je venais tout juste de quitter la Terre. La présence de Ruaathu me surprit moins, ne serait-ce que par rapport à Chloé, mais penser que son père accepterait également ? Il était de ceux par qui j’avais appris le pardon, le second était là également, le bienheureux.
Ils étaient tous présents, Maia, Gauri ainsi qu’Alcibiade, Yaqut mais également la reine des elfes qui nous regardait, Alicia et moi, d’un regard entendu. Il y en avait même d’autres, des princes des étoiles ainsi d’autres individus que je n’avais pas encore eu l’occasion de rencontrer. Qui leur avait proposé de venir ? A vrai dire cela m’importait peu, aucun inattendu ne pouvait, à ce moment, assombrir mon âme. Et bien sûr, au milieu de tout ce monde, la petite silhouette habillement dissimulée dont seul l’éclat de lumière se reflétant dans l’objectif de l’appareil photo trahissait la présence.
Si le regard de la reine elfe était si particulier ce n’était bien sûr pas sans raison. A vrai dire après notre départ de leur flotte nomade j’avais pris le temps d’y retourner par la suite. J’avais déposé en personne la lettre à celle-ci mais j’étais également revenu avec quelque chose. Alicia s’avança alors lentement, une légère brise faisant onduler la somptueuse robe nacrée dans laquelle fils d’or et d’argent pur venaient dessiner des motifs subtils. La robe n’était pas simplement magnifique en elle-même, elle venait sublimer la beauté naturelle d’Alicia, se mêlant à sa propre chevelure d’or et d’argent, la beauté d’une femme ayant vécu par et pour ceux et celles qu’elle aimait. D’un certain point de vue, la robe était relativement simple, les broderies et les dentelles étaient subtiles, il fallait s’attarder pour qu’elles éblouissent. C’était une beauté que tous ne méritaient pas, mais qui récompensait richement ceux qui s’y intéressaient sincèrement et qui regardaient avec leur coeur. Indéniablement, les elfes avaient fait de leur mieux sur cette oeuvre.
Pour ma part, je pensais initialement prendre un costume gris clair, quelque chose de simple. Alicia méritait bien d’être la reine de ce jour. Stella en avait décidé autrement, elle avait même réussit à être à l’origine du tout premier mensonge de Sarilya… Le costume que je portais était tissé par le savoir faire des arachnides utilisant des fils de lumière subtile tressés par Sarilya depuis sa propre essence. Le costume en lui-même était d’un gris-argenté plutôt mat lorsqu’il reposait sur un mannequin, mais lorsque je l’avais enfilé… J’avais pu sentir les fils spirituels se mêler à mon âme, j’avais senti celle-ci répondre en répondre, leur rendant alors leur couleur subtile tout en pouvant moi-même percevoir leur embrasement, des flammes qui ne brûlaient pas, qui émettaient une chaleur bienveillante. Si Alicia resplendissait de la perfection du détail qui renforçait parfaitement sa propre beauté, je ne pouvais nier que je brûlais quand à moi de la passion qui m’animait, qui m’avait toujours animé et qui, je le savais, m’animerait à tout jamais.
La messe avait eu quelque de presque comique en y repensant plus tard. Il y avait un rassemblement tellement extrême entre éveillés absolus et individus entièrement bloqués par l’épistémè qui ne percevaient même pas la miette de ce qui l’entourait. Et pourtant la messe avait été d’une beauté incomparable.
Le pasteur avait mené l’office avec simplicité et chaleur. Est-il nécessaire de préciser que, bien que n’ayant jamais voyagé dans l’espace et n’en n’ayant pas particulièrement l’envie, le pasteur était pleinement éveillé ? Je ne crois sincèrement pas avoir jamais rencontré quelqu’un de plus généreux que cet homme, à l’exception de Kurt bien sûr.
Chants, musiques, mais également lectures et prières. Je me doutais bien que tous les présents ne partageaient pas ces croyances mais en ce moment la seule personne qui m’importait se trouvait soit en face de moi soit à ma gauche, selon les moments.
Le message du pasteur, avant que nous échangions nos voeux, fut particulièrement touchant.
- Aujourd’hui est un jour très particulier pour moi et je partage le bonheur d’Aaron et Alicia comme mon propre bonheur. Il y a 24 ans de ça, je mariais dans ce même temple un jeune couple qui venait de s’installer dans la région. Ce couple, je l’ai régulièrement revu. Nous sommes devenus proches, des amis. J’ai accueilli à leurs côtés deux magnifiques enfants, je les ai vu grandir. Mais parfois les choses de la vie font que des individus que l’on sait qu’ils sont fait pour être ensembles s’éloignent. Il n’y a pas de coupable à chercher, pas de personne à blâmer. Le Seigneur seul observe, et soumet parfois à l’épreuve.
J’ai eu le déplaisir de devoir suivre mes engagements il y a trois ans de cela, prononçant des mots qui font toujours mal. Mais aujourd’hui en vous voyant ainsi, en face de moi, je suis persuadé que ces trois années ne sont rien face à ce qui vous lie tous les deux. Aaron, Alicia, mes amis, je vois sur vos visages un amour que vous nourrissez mutuellement, une flamme divine qui vous lie à l’amour du Seigneur. Puissiez-vous continuer dans cette voie qui est la vôtre, qui vous épanoui et qui vous fait grandir, ensemble.
La pression dans ma gorge ne s’arrêta pas avant que le pasteur n’eut terminé son message. Je n’avais pas simplement appris à pardonner les autres, la personne à qui je devais réellement accorder mon pardon était moi-même et, alors que je déclamais les paroles qui me lieraient à nouveau à Alicia aux yeux du Seigneur, je pu sentir Sa lumière venir sur moi. Je pu recevoir cet amour qui émanait d’Alicia et laisser enfin partir cette boule noire, ce parasite insidieux qui limitait mon accès au bonheur.
Lorsqu’Orion et Stella nous donnèrent nos alliances à s’échanger, je pu sentir à nouveau une larme sur ma joue alors que, face à moi, Alicia arborait le même éclat mêlé d’un sourire magnifique. Après avoir chacun conservé son alliance de côté durant ces dernières années, voilà que nous nous permettions à nouveau de nous les passer au doigt.
Le pasteur nous remis finalement une bible qui irait accompagner la première que nous avions reçu.
La sortie du temple se fit dans les félicitations et la joie, chacun nous apportant bien sûr cela à sa manière. Depuis combien de temps n’avais-je pas pleuré ainsi ? Indéniablement depuis bien trop longtemps.
Après la messe, la fête, c’était l’ordre naturel des choses et ce fut à la maison que nous attendait un buffet princier, non pas de ceux des princes des étoiles. Tout le monde était invité mais les choses, je ne crois plus au hasard depuis longtemps, je ne doute donc pas de la présence d’une force quelconque, firent que seules les personnes éveillées se retrouvèrent finalement à la maison, chacun ayant une bonne raison pour ne faire que passer brièvement.
Au cours du buffet vint le moment de la danse, que j’ouvris évidemment avec Alicia. Je ne pouvais m’empêcher d’avoir un sentiment de fierté en dansant avec elle. Mon passage chez les elfes m’avait blessé, c’était indéniable. Mais j’avais choisi de ne pas me laisser abattre et j’étais allé jusqu’à prendre des cours. C’est ainsi que je pu être véritablement à la hauteur d’Alicia. Lorsque les invités se mirent à leur tour à danser j’acceptai de la laisser prendre d’autres bras tandis que je fis autant.
Pourrait-il y avoir un autre jour qui me transporterait autant de bonheur, qui m’emplirait autant de joie ? Lorsque mon regard se posa sur Orion et Miwt dansant ensemble la réponse me fut évidente. Le plus grand des bonheurs n’est-il pas celui que l’on ressent chez ceux que l’on aime ?