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 Rémi de Kerdanet

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stan

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MessageSujet: Rémi de Kerdanet   Rémi de Kerdanet Icon_minitimeVen 28 Fév - 15:18

Je suis né vicomte sur une terre qui n’en connaissait pas alors que le monde sortait à peine de l’horreur. L’espoir d’une der des der habitait les coeurs et un espoir nouveau soufflait sur le monde.

Oran, 1919.

Mon père vient d’être nommé préfet en récompense de ses actes héroïques pendant la grande guerre. Je peux le dire, maintenant qu’il est décédé mais mon père s’était réellement comporté en héros. Capitaine au début du conflit il avait protégé ses hommes, il les avait soutenu, comme un père, comme un frère, comme un prêtre parfois. Il avait vu l’horreur de très près. Il avait perdu pratiquement toute son escadrille… “un tir de préparation raté” lui avait-on dit. Il avait eu le temps d’y réfléchir tout le temps qu’il avait passé dans cet immonde sanatorium où il était soigné. Au milieu des râles et des tripes Papa était resté patriote, fier d’être dans l’armée, fier de son grade de colonel. Mais il était aussi devenu froid, son regard se perdant souvent dans le vide. Il avait écrit, avec quelques autres, “ou sont les lâches ?” un pamphlet terrible sur certains officiers. Il aurait pu avoir des ennuis mais un de ses amis politiciens s’était arrangé pour le faire muter à Oran.

La famille arrive en septembre moi je vois le jour en octobre. Maman et Yvonne ma soeur de 6 ans mon ainée sont ravies de découvrir cet endroit exotique mais Papa demeure sombre. Pour lui c’est une frustration. Il se voit faire de la politique et le voilà loin de la métropole. Je vois le jour à 14h, à la maternité d’Oran,  juste devant la baie des Aiguades.

Oran, 1932.

Papa a pris du grade. Il est parvenu à se faire élire député et il vit à Paris. Une prouesse quand on sait que c’est le seul personnage de droite élu, même si pour en arriver là, il a dû donner des coups de canif dans ses convictions. A moins que ce soit le soleil magnifique de l’Algérie qui ait adoucit son coeur.
J’ai 13 ans. Je vais à l’école chez les jésuites à Oran. Avec Maman, Yvonne et ma petite soeur Marianne, nous vivons dans une grande maison sur les hauteurs de la ville. Souvent je descends en vélo la nouvelle route du port et son grand virage au niveau du quartier de Miramar. J’aime traîner, regarder les pêcheurs sortir leurs casiers et reprendre leurs filets. J’aime cette ville que le désert semble toujours essayer de dévorer, ses rues poussiéreuses et ses beaux cafés aux auvents blancs et noirs.
Achraf, notre jardinier m’apprend tout un tas de tour. Il a fait la grande guerre comme Papa, il a perdu un oeil là-bas. Souvent il me raconte ce que c'était, sans détail, avec pudeur mais il me permet de comprendre pourquoi Papa passe tant de temps les yeux dans le vide. Je dois à ce brave homme mon goût pour la nature ainsi que pas mal de malice. Achraf me traitait en homme et je crois que j’aimais ça.
Quand je ferme les yeux j’ai retrouve encore l’odeur du sable et du jasmin du théâtre de verdure, le goût des citrons et des oranges, le rire d’Achraf et les glouglous des fontaines et les écru rouille des falaises se découpant sur les azurs du ciel et de la mer.



Brazilia, 1933.

Les amis politiciens de Papa lui ont trouvé une belle planque: le Brésil. Papa ne sait pas bien choisir ses alliés mais il choisit bien ses amis et si sa carrière politique connaît des hauts et des bas, il peut toujours espérer un poste d’ambassadeur quelque part. Il faut dire qu’il sait y faire, avec son rôle de vétéran de guerre il en impose. Je suis assez grand maintenant pour le voir faire… Costume militaire, batterie de médailles, l’ambassadeur est aussi colonel et on ne lui dit pas non. Il impose son idée de la France quoi.

Jaloux de ma relation avec Achraf, il n’a pas souhaité emmener le jardinier avec nous. Il me parle de longues heures de l’histoire de France, de notre histoire. “tu es vicomte Rémi, tu es un morceau de la France”. Le devoir, la patrie… un pays que je ne connais même pas et qui me semble si terne.

Oran me manque. Je passe mon temps au musée pour regarder les découvertes que l’on fait sur ces indiens qui vivent au coeur de la forêt. Cette forêt que l’on n’ose approcher, gros nuage vert et menaçant comme l’orage.

Brazilia, 1934.

Mark, mon meilleur ami est le fils de l’ambassadeur anglais. Il fait ses études à Cambridge mais il est venu passer ses vacances d’été ici. Son père est un peu excentrique et le laisse explorer le pays comme bon lui semble. J’ai décidé de le suivre contre l’avis de Papa. Maman, qui est anglaise, trouve que c’est une bonne idée que ca me permet d’apprendre sa langue et de me confronter au monde. Divergence d’opinion, peut être dicté par les nouveaux amis très conservateurs de Papa. Ensemble ils passent de longues heures à discuter des agitateurs en Allemagne mais surtout à vanter les mérites de Mussolini qui honore l’histoire de l’Europe.

Cette été là, je découvre la vie. Dans tous les sens du termes. L’argent ne manque pas et en tant que fils d’ambassadeur nous avons tous les droits ou presque. La sortie de l’enfance se fait par la grande porte: bagarre, boisson et amours d’été.

Le retour au lycée français est difficile. A quoi bon les maths et l’histoire quand le monde reste encore à découvrir ? L’indochine ? La terre de feu ? Le pôle nord ? Je compte les années avant de pouvoir à mon tour partir autour du monde.

Roscoff, 1936.

Papa a quitté son poste d’ambassadeur. “Je ne travaillerais pas pour des communistes” a t-il dit en donnant sa démission. Une vague politique a emporté tous ses amis. Cette fois-ci pas de poste pour s’enfuir. D’ailleurs Papa n’en aurait pas voulu. Il a préféré ramener toute la famille sur les terres de nos ancêtres. “Le vicomte est de retour” dit on. Moi, je n’ai connu que le soleil et voici qu’il n’y a que la pluie et le gris partout. Le gris du ciel, le gris des pierres, le gris des navires partant sur une mer noire et perfide.

C’est un choc pour moi. C’est aussi mon entrée dans le monde des adultes. J’ai 18 ans, je suis un homme et pour mon père il est temps de choisir ce que je veux faire dans la vie. Il veut que je sois médecin comme lui ou que je rentre dans l’administration. Je choisis plutôt la Marine. Ces années de rabachages sur l’importance de servir la France paient enfin.

Brest, 1939.

Voilà deux ans que je suis dans la Marine. Je ne m’étais jamais rendu compte que j’étais fait pour l’action. Les choses s’était faite comme ca. Le sérieux et le patriotisme s’alliaient très bien avec mon goût du risque et de l’aventure.

Les falaises de Brest avaient su m'accueillir avec autant d’amour que celles d’Oran et je le leur ai bien rendu. Je parle anglais sans accent, c’est un plus. Je suis plutôt doué pour les langues alors on me fait sortir du rang pour me donner une formation commando, me former au renseignement. Escalade, nage, parachute, tir et explosif… Je découvre pour quoi je suis fait, tout me semble facile. C’est comme un grand camp scout ! Je fini même tireur d’élite de mon unité.

L’insouciance ne souffle plus sur le monde qui s’est abandonné au vent mauvais des fascismes de tout poil. La France reste et demeure la France, la nation des droits de l’homme. La nation qui inscrit en lettres d’or sur le fronton de ses bâtiments ces 3 mots à la valeur universelle : liberté, égalité, fraternité.
Le fascisme menace, le communisme suit tout proche… Mais je suis prêt.

Rémi de Kerdanet

nom de code : Acrostiche
alias: Rémi Kerouedan, Rémi-Pierre Castel, Rowan Kingsley

Corps 3
Esprit 2
Courage 4
Technique 1
Pouvoir 0

pv = 8 volonté = 7

Joker : compétent

valeurs :
Croyant  x
Progressiste x
Individualiste x
Cosmopolite xx




Ami : Flying officer (lieutenant d’aviation) Mark Ashcroft (ami d’enfance)
Maître : Colonel François Amerlin (responsable du 2e bureau)
Familier : Henri de Kerdanet (Père, ancien député, ancien ambassadeur, ancien préfet)

métiers
commando (infiltration) (tireur d'élite)
radiographiste ( codage)
pilote (tout terrain)
sportif (endurance)
agent de renseignement (filature) (sabotage)
linguiste (enfant du pays)

Rémi de Kerdanet 2020-010
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MessageSujet: Re: Rémi de Kerdanet   Rémi de Kerdanet Icon_minitimeLun 9 Mar - 23:06

Et c’est ainsi que commence l’histoire…

Lorient, 1938.


-“Allez montez-moi cette falaise” hurlait le capitaine de corvette Amerlin depuis l’à pic ou il nous attendait. Il faisait froid, la petite bruine de mars s’infiltrait partout sous les vêtements et même si j’étais plutôt bon en escalade, la falaise était lisse et difficile à grimper.

La petite vingtaine de gars qu’on était s’était retrouvée sur cette plage de galets au petit matin. On nous avait balancé quatre ou cinq cordes depuis l’arrière du vieux Renault qui nous avait amené là.
- “Je veux vous voir là haut” avait lâché Amerlin, “et je vous conseille de vous grouiller, la marée monte.”

Nous avions regardé le camion s’éloigner de la plage sans grand enthousiasme, les pieds déjà mouillés par le ressac. Le temps de finir sa pipe et il fallait commencer à jouer du grappin à la recherche d’une prise pour ne pas finir congeler.

Alors que je faisais tournoyer le crochet de métal je repensais à ce qui m’avait mené ici...

-“Quelle sont vos espérances maintenant, Kerdanet ?”
-“ Servir la France mon commandant”

Le capitaine de vaisseau du Couadon avait posé son stylo et s'était enfoncé dans son confortable fauteuil de cuir. Il avait le regard d’un bleu acier, les joues couperosées par les années en mer et une vigueur qui ne trahissait pas ses 55 ans.

-”bien. Il y a besoin d’un lieutenant sur le Polyphème. Poser des filets sous-marins c’est une belle première mission qu’en pensez-vous Kerdanet ?”

Intérieurement j’étais en ébullition.

Je m’étais engagé dans la marine pour découvrir le monde pas pour finir à poser des filets. Je me souvenais l’an dernier avec mon ami Jacques nous étions allés nous promener du côté de Lorient. Une bouffée d’air hors de la maison, de Papa et de ses obsessions: les juifs, les franc-maçons, les socialistes; tout ce qui n’était pas lui en somme. Il y avait là quelques navires en partance pour l’Algérie. Je tenais mon ticket pour rentrer chez moi. J’avais attendu quelques jours avant d’annoncer ma décision à mes parents, histoire que cela ne ressemble pas à un coup de tête. Mon père s’était levé de table et avait laissé couler une larme… Une larme qu’il s’était dépêché d’essuyer en apprenant que je voulais rentrer dans les fusiliers marins. “si c’est ce que tu veux…” avait il lâché.
Les semaines suivantes, il avait fait tout ce qu’il avait pu pour me convaincre de faire l’école de maistrance mais c'était finalement ma mère, bien malade, qui avait su trouver les mots. J’avais alors quitté mes copains de chambrées pour 14 semaines afin d’apprendre à devenir officier. Pendant tout ce temps je n’avais eu qu’un seul objectif en tête, l'Algérie. Le monde n’est pas si vaste à 20 ans. Et voilà qu’on me donnait une place de pêcheur… Je foudroyais le commandant du regard.
-”ce sera un honneur, mon commandant” dis je la gorge serrée.
-”bien.” dit il simplement. “autre chose ?”
-”non mon commandant”.

J’étais sur le point d’exploser.

-”vous êtes heureux de cette affectation Kerdanet ?”
-”je n’ai rien à dire monsieur.”
-”je suis sur que vos talents de tireur seront bien utiles”

Ma gorge se serrait, j’avais envie d’hurler mais les ordres étaient les ordres... Lorsqu’on frappa à la porte.

-”entrez” dit du Couadon

le planton ouvrit la porte et se mit au garde à vous laissant la place à un homme en uniforme de marin d’une quarantaine d’années. Il se mit aussitôt au garde à vous. Je fis de même.

-”Capitaine de frégate François Armerlin”. Il se mis au repos sans attendre que du Couadon lui en donne la permission. “Comment vas tu Philippe ?” dit il ensuite en tendant une main puissante au commandant.

-”bien, bien. Et toi François ? toujours à la recherche de quelques gugusses pour ton corps franc?” dit du Couadon avec un grand sourire.

-”oui toujours. Le stage escalade commence demain d’ailleurs.” dit Amerlin.

Il était blond avec un nez droit et une petite moustache fine qui lui donnait un je ne sais quoi d’anglais. Son corps élancé évoquait plus le danseur que le combattant et pourtant il ressemblait à un félin sur le point de vous attaquer.

-”tu connais le Lieutenant de Kerdanet ?” dit du Couadon en me montrant du doigt.

Amerlin qui jusque là ne m’avait pas adressé un regard se tourna vers moi bien que je sois au garde à vous près de lui depuis son entrée dans le bureau.

-”non, je n’ai pas ce plaisir.”

-” sa mère est anglaise comme la tienne”
-”oh really ?” dit il dans un anglais impeccable, “et ou etes vous affecté Lieutenant ?”
-” sur le Polyphème monsieur.”
-” ah vous allez poser des filets… bien, bien. Il faut des gens pour le faire j’imagine”, dit il avec un sourire narquois. “Philippe j’ai besoin d’un camion et d’une falaise bien à pic pour le stage, tu aurais une idée ?”
-” peut etre que le Lieutenant qui connait bien la région pourrais t’aider ?”
-” ah vraiment ? vous avez une idée Lieutenant ?” dit Amerlin en plongeant son regard dans le mien.

Ils me prenaient pour des idiots et je le sentais. Je bouillonnais. J’aurai accepté cette affectation honteuse sans faire d’histoire si elle était resté entre moi et le commandant. Mais là, ce type venait et se pavanait avec son stage d’escalade.

-” les falaises de Quiberon seront parfaites Monsieur.”
-” formidable” dit Amerlin, “vous faites quelque chose demain ?”

j’ouvrais des yeux ronds. Je n’arrivais pas à comprendre s’il se moquait de moi ou s’il était sérieux.
-” le lieutenant doit aller apprendre à tirer à ses hommes” dit du Couadon, “c’est le meilleur tireur de la marine, les hommes du Polyphème on bien de la chance…”
-” ah. Dans ce cas.” dit Amerlin. Il tourna les talons et se dirigea vers la sortie.

C’etait la chance de ma vie et tant pis pour les ordres et le protocole, il fallait dire quelque chose.
-”attendez commandant”. Amerlin se retourna. “emmenez moi avec vous s’il vous plaît.”
-” et vos hommes ?” me dit Amerlin avec un petit sourire
-” mes hommes ils trouveront un autre instructeur ! Je peux vous être utile.”

Il haussa un sourcil. Quelques minutes plus tard nous étions, le commandant du Couadon, le commandant Amerlin et moi devant le pas de tir.

-”Va plus loin! Plus loin! ”
le sergent responsable du pas de tir nous avait installé une cible mais j’étais bien décidé à impressionner Amerlin. Le MAS 36 que j’avais devant moi pouvait tirer jusqu’à 400 mètres… Le fusil était trop court et la mire mal conçue mais tant pis je n’allais pas laisser passer ma chance. 5 balles à 400 mètres. tu peux le faire Rémi… comme au Brésil, comme avec Mark...

Je fermais les yeux et j’inspirais profondément. Je repensais à Oran, au calme sur le port le soir, au bruit du sable qui glissait dans la brise. J’expirais doucement. Oeil dans l’axe. Premier tir. Lever le levier, reculer, avancer, baisser le levier, aligner l’oeil. Deuxième tir. Rien ne presse, ce n’est pas un concours de vitesse.Troisième tir. Ce qui compte c’est de faire mouche à chaque fois. Quatrième tir. Contrôler son souffle, garder la main ferme mais souple malgré le manque d'air, malgré le stress. Cinquième tir.


Je reprenais tranquillement mon souffle, presque surpris. je l’avais fais ! Les mains tremblantes je reposais le fusil et me tournais vers les deux commandants.

-” j’espere que tu sauras faire ca au combat…”

je trépignais d’un pied sur l’autre… j’en avais peut être trop fait, ca n’avait pas l’air de l’avoir beaucoup impressionné. Il monta le talus qui permettait de sortir du champ de tir sans me regarder. Je cherchais le soutien de Couadon.

-” rendez vous dans la cour demain a 5h” dit finalement Amerlin, “on fera peut être quelque chose de toi”.
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MessageSujet: Re: Rémi de Kerdanet   Rémi de Kerdanet Icon_minitimeJeu 12 Mar - 14:13

Brest, 1938

Papa était dans le solarium. J’étais rentré depuis vendredi et nous n’avions pas cessé de l’entendre répéter des discours qui rivalisaient en ordurerie. Papa n’avait jamais eu de flamme sociale en lui, les autres ne l’interessaient pas mais depuis que nous avions emmenagé au Brésil, il avait commencé à fréquenter des gens avec des idées vraiment nauséabondes. Il faisait des séjours prolongés à Paris pour y retrouver ses amis dans l’espoir d’obtenir une nouvelle place au parlement ou dans un cabinet. Il était passé tout prêt de se faire arrêter avec les cagoulards mais il avait réussi, je ne sais comment, à passer entre les mailles du filet. Il n’avait rien dit qui aurait pu le trahir mais sa façon de lire le journal, de découper l’article qui l'intéressait, d’écrire de façon frénétique pendant des heures dans son journal me suffisait pour savoir qu’il était touché de prêt.
Je me demandais tout le week end comment mon père avait pu devenir cet être plein de haine. Comment ce héros de la première guerre mondiale pouvait rêver de voir la république s’écrouler. Je me demandais qui pouvait être ce juif qui lui avait fait assez de tort pour qu’ils puissent les haïr à ce point. Je n’avais pas de réponse, je ne voyais que les délires malades d’un homme qui estimait ne pas avoir eu ce qu’il méritait.
En attendant il faisait les 100 pas, faisant grincer les lattes du parquet, égrenant des injures qui résonnaient dans toute le manoir.

Le soir venu, il arrivait dans la salle à manger, s’asseyait au bout de la table et attendait que Marie, la domestique, le serve. Il n’adressait pas un regard à maman. Ma soeur était en passion et moi au régiment; j’imaginais souvent ces repas sans un mot, simplement rythmé par le bruit de la cuillère dans l'assiette de soupe. Mais cette fois je n’avais pas faim.

3 semaines plus tôt…

-”bon Kerdanet, vous suivrez Agostini”. L’homme face à moi avait un petit nez de brute, un visage cassé de boxeur et des petits yeux à l’iris un peu changeante. Il officiait dans le 2e bureau comme instructeur, ses spécialités : filature, ouverture de coffres et de serrures, désamorçage de système d’alarmes. Difficile de dire s’il était flic ou voyou mais sa grosse voix éraillée avait son petit effet.
-”il ne sait pas qui le suivra. Il devra tout faire pour vous identifier et vous semer. Vu ?”
-”c’est entendu”
-”votre but, c’est de pas le lâcher et de découvrir ou il va et ce qu’il fera et de prendre une photo”
-”c’est dans mes cordes je pense…”
-”ouais. Ben vous surestimez pas. Allez l’exercice commence maintenant.”

Une casquette, un bleu de travail et une sacoche de plombier ferait un costume parfait mais encore fallait il avoir l’air d’un plombier. L’air courageux, la démarche un peu vive du petit artisan qui sait s'arrêter pour tirer sur une cibiche de temps en temps. Un peu bossu forcément à force de se plier sous les éviers. Je reperais Agostini facilement. Sa tignasse blond-roux était visible de loin.
Je suivais mon client d’assez loin pour qu’il ne me remarque pas, m’arretant pour allumer une cigarette, refaire un lacet ou demander mon chemin. Agostini circulait dans les petites rues autour de la Bourse. Rue Montmartre, rue Réaumur, clairement Agostini tournait trop et ne regardait pas assez derrière lui. Je le vis s'engouffrer dans la rue Notre Dame des victoires et marcher à pas rapide jusqu’à l’église. Il passa la petite porte latérale. Le suivre aurait pu me trahir d’autant qu’il pouvait attendre dans l’entre deux portes. Je décidais de rentrer par la porte principale. De la ou j’étais je voyais Agostini devant les ex-voto. Il était tellement occupé à les lire un à un pour trouver celui qu’il lui fallait, qu’il ne me remarqua même pas. Je sorti le mini appareil de ma sacoche et je fis quelques photos de lui plaçant une enveloppe derrière un ex-voto mobile. Avant qu’il ne me remarque, j’étais ressorti. Les ordres étaient de le suivre jusqu’au bout mais alors que je me mettais en retrait pour continuer ma filature, je vis mon père passer sur le trottoir d’en face. Que faisait-il dans ce quartier ?
Comme poussé par une force invisible, j’abandonnais Agostini à sa tache et je me mettais à suivre mon père. Il marchait d’un pas rapide mais évitant avec soin qu’on ne le touche. Il remonta la rue Montmartre, tourna à droite et s’engouffra dans un passage ou je faillis le perdre. Finalement il poussa la lourde porte d’un immeuble perpendiculaire au boulevard. J’attendais quelques minutes puis finalement je rentrais et m'arrêtais à la loge de la concierge.

-”bonjour m’dame”
-”c’est pour quoi ?”
-”M’sieur de Kerdanet m’a demandé de passer”
-”on a personne à ce nom là”
-”ah bon ? Un grand bonhomme avec un costume noir. cheveux grisonnants. avec un chapeau gris.”
-”ah c’est le monsieur qui est chez mademoiselle Huet”
-”ah bon ?”
-”oui, c’est une cousine danseuse à lui”
-”ah bon, bon… c’est quel étage du coup ?”
-” au troisième”
-” eh ben je vais aller voir ca…”

Je montais les deux premiers étages, j’attendais 20 minutes et puis je redescendais. La concierge était toujours là.

-”alors c’est réparé ?”
-” oui c’etait rien ! Allez au revoir madame”

Je me mettais en face de la porte, l’appareil en main, prêt à photographier cet immonde hypocrite. Il ne parlait que de vertu morale mais il n’en avait pas une once. De longues heures passèrent et finalement il finit par sortir. Je pris quelques photos à la volée mais ce n’était pas suffisant… Je m’approchais de lui pour lui faire passer l’envie de mentir mais Demerdjian, le formateur s’interposa devant moi.

-”vous foutez quoi Kerdanet. Voila des heures que vous auriez du rentrer.”
-”j’ai eu…”
-”je m’en fous je veux pas le savoir, vous emmerdez le monde avec votre balade.Ne pas respecter les règles c’est exposer tout le monde au danger”

Au retour au bureau, je me fis passer un savon et on me vira du groupe pour 2 semaines. L’occasion idéale pour rentrer en Bretagne. Je devais de rester dans le programme de formation qu’à la réussite de ma filature d’Agostini et à la pression d’Amerlin. Mais sur le coup je n’avais envie que d’une chose confronter mon père.

Nous étions là en train de manger notre soupe dans le silence lourd.

-”tiens l’autre jour nous étions à paris” dis je
-”ce que tu fabriques avec tes forbans ne nous interessent pas” dit mon père
-”j’ai visité les passages c’est vraiment splendide !”
-” ces endroits ne sont peuplés que par des voyous, des excentriques et des juifs”
-”il m’a semblé oui y voir une forme de dégénérescence morale”

ces mots étaient si étranges dans ma bouche qu’il compris tout de suite.

-”le sujet est clos” dit il froidement.

le repas se termina dans le silence. Mon père alla se cacher dans le bureau tout de suite après mais je l’y poursuivait.

-”qu’est ce que tu veux Rémi ?”
-”je t’ai ramené quelque chose de Paris.” Je jettais sur la table de travail une enveloppe format carte postale… “tu sais ce qu’il y a dedans. Je t’ai démasqué, je sais qui tu es vraiment maintenant…”
-”comment oses tu ?”
-” non toi, comment oses tu ? toi qui nous a fait quitter Oran pour cette baraque immonde battu par les vents.”
-” j’aurai du me douter que tu serais corrompu par des juifs et des francs maçons. L’ordre ne tient plus en France y compris dans l’armée…”
-” garde ta propagande pour tes amis fascistes.”
-”déliquescence de la société”

Deux mondes s'opposaient désormais : le fascisme contre la liberté et j'avais choisi mon camp.
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MessageSujet: Re: Rémi de Kerdanet   Rémi de Kerdanet Icon_minitimeMer 6 Mai - 18:49

Région parisienne, 1938

-” Le plus dur c’est pas de fabriquer un explosif, le plus dur c’est de pas se faire exploser les doigts avec”.
Celui qui venait de parler avec tant de sagesse était le sergent Martinez, l’instructeur en explosif et sabotage. Républicain, il avait combattu pendant de longues années en Espagne avant de passer les pyrénées et finalement s’engager dans la légion étrangère.

Le sergent n’était pas beaucoup plus âgé que nous, une petite dizaine d’année tout au plus, mais il avait connu la guerre civile et cela faisait toute la différence. Il avait été témoin de ce que pouvait faire le fascisme et pour ça je l’admirais.
Dans le groupe, les avis étaient partagés, pour certains il n’y avait que la France quoiqu’il arrive. Pour d’autre comme moi, il y avait la France et ses idéaux. Si mon père avait réussi quelque chose, c'était me faire aimer une certaine idée de la France. Sa liberté, sa capacité à se révolter quand cela était nécessaire. Pour moi la France c'était tout autant Verdun que Valmy. Alors oui, il était parfois difficile de s’y retrouver dans le tohu-bohu de l’assemblée mais c'était cela aussi la république ! Et c’est ce que beaucoup avait tendance à oublier...

Cela faisait maintenant 1 mois que nous étions en formation auprès du 2e bureau. Ils savaient faire tout ce que l’armée ne voulait pas savoir faire : s’infiltrer, saboter, tuer en silence. Toutes ces choses qui étaient un manquement à l’honneur pour tous nos généraux. Mais y avait il de l’honneur à conserver comme doctrine la charge de fantassins à la baïonnette ? Il ne fallait voir qu’une tête, le généralissime commandait et l’armée entière obéissaient. Fallait il parler du manque d’avions ? Pour le généralissime cette arme n’était pas décisive. Manquons nous de chars ? Enfin aucun véhicule ne peut venir à bout de l’habile artilleur français.


Un matin, Amerlin nous avait réuni dans la salle de cours.

-” les gars”, avait il commencé, “ je vous apprends rien en vous disant que le monde va mal.”

Il avait affiché la une du Figaro qui titrait “la paix est sauvée” sur le tableau.

-”navré de vous le dire mais non la paix n’est pas sauvée… ca bouge pas mal en haut lieu et on va avoir besoin de vous au 2e bureau”

-”pour quoi faire commandant ?” dit alors Goosens, “on fait pas de renseignement nous.”

-”eh ben va falloir vous y mettre mon vieux Goosens… mais faut pas paniquer, on va vous aider” répondit Amerlin. “voila la situation, nous ne sommes pas prêt. Nos programmes d’armement on prit trop de retard, notre armée est équipée comme en 1916. C’est pas à vous que je vais apprendre qu’on tire encore avec des fusils allemands dans certains régiments. Nos effectifs ne sont pas suffisant non plus. Et autant dire qu’avec nos doctrines d’engagement, si demain il y a une guerre, on ne tiendra pas .”

Amerlin tira sur une carte de l’Europe.

-”A partir de maintenant, vous allez tout faire pour empêcher cette guerre tant que nous ne sommes pas prêt à la faire. Vous allez être déployé pour le compte du 2e bureau avec pour objectif d’organiser des bases arrières et prendre des contacts. Les anglais font pareil de leur côté alors essayez de pas vous marcher sur les pieds. Ah oui, précision. Tout ce qui compte c’est les intérêts de la France, alors pas de faveurs et pas d’arrangements sans contrepartie. Vu ?”

Fin de la leçon. Les choses sérieuses commencaient.

Nous étions tous un peu anxieux mais excité à l’idée d’enfin aller sur le terrain. C’est pour ça qu’on s'était entrainé. Contrairement à beaucoup, nous étions volontaires pour faire cela. Nous avions travaillé dur ensemble pour être les meilleurs, nous pensions que nous serions à jamais des frères. En tout cas c’est ce que nous nous disions alors qu’on se saoulait tous ensemble pour la dernière fois.


-” T’es déjà allé en Pologne ? ” Amerlin venait de relever ses yeux de la fiche d’ordre me concernant.
- “non jamais mon capitaine”
-”eh ben c’est bien il y a un début à tout. Tu vas escorter le capitaine Bertrand là -bas.”
-” qu’est ce qu’il va …”
-” pose pas de questions. Tu sais ce que tu as besoin de savoir. Désormais tu vas devoir te contenter de ce qu’on te dit Kerdanet. C’est compris ?”
-”oui mon capitaine.”

C'était un nouveau monde auquel j’allais devoir m’habituer. Avec mon père j’avais goûté aux ors, aux réceptions, à l’ambiance feutrée des ambassades et je ne m’y étais jamais beaucoup plus. L’armée avait été synonymes de dépassement, d’aventure et déjà on me retirait ma liberté…

Je m'apprêtais à sortir...
- “Kerdanet ?”
-”oui mon capitaine ?”
-” Essaye de me changer cette tête de fils d’ambassadeur, d’accord ?”
-” ahah, j’aimerais bien mais les femmes ne me le pardonneraient pas”.

Le lendemain je me rendais au bureau du capitaine Gustave Bertrand. Il était situé dans la division du chiffre du Bureau, ce qui était loin d’être ma spécialité. Le silence de l’endroit était rompu à intervalle régulier par un gros calculateur mécanique qui vrombissait à en faire trembler les carreaux. Le séisme durait quelques minutes puis les couloirs redevenaient aussi silencieux que le cloître d’une abbaye. Ici, plus qu’ailleurs, la culture du secret était présente.

J’arrivais devant la porte portant simplement le chiffre 3. Je toquais à la porte. Un sergent en uniforme vint m’ouvrir.

vous désirez ?
je viens voir le capitaine Bertrand. Je suis Rémi de Kerdanet.
ah oui. Entrez je vous prie.

le bureau était exigu, envahi par des dizaines de trieurs à documents métalliques portant des étiquettes cryptiques.

attendez là Lieutenant, me dit le sergent.

Il alla frapper à la porte, échangea quelques mots puis se tourna vers moi.

vous pouvez entrer.

Il poussa la porte et je vis au fond de son bureau le capitaine Gustave Bertrand. Il avait la cinquantaine, dégarni, une figure franche. Il portait un uniforme avec képi, pantalon de cavalerie et bottes, typique de l’officier. Il y avait derrière lui un appareil de calcul ancien en laiton, un truc de mathématicien sans doute.
Le capitaine Bertrand s’était engagé volontairement dans l’infanterie en 1914. Blessé aux Dardanelles, il était entré dès 1926 au service des transmissions, le service de renseignement français de l’époque. Doué en mathématiques, il avait gagné la gestion du chiffre allemand, un poste clé, surtout en ce moment…

Lieutenant Rémi de Kerdanet mon Capitaine, dis je en le saluant.
Repos Lieutenant, dit l’homme en levant les yeux de ses papiers, asseyez vous donc. Nous allons passer quelque temps ensemble autant que nous commencions tout de suite à lever le pied sur le protocole qu’en dites vous ?

il s’exprimait d’une voix énergique, avec un petit accent du sud. Son visage était expressif et souriant. Il y avait dans son regard une sorte de lueur, de l'espièglerie, qui expliquait peut être son goût pour le cryptage et les casses-têtes.

bon qu’est ce que vous a dit Amerlin sur la mission ?
absolument rien mon Capitaine.
oui… bon… ce n’est pas plus mal. Nous avons un avion demain matin qui part du Bourget direction Varsovie.
Mon Capitaine j’aimerais en savoir un peu plus, histoire de… me préparer. Amerlin m’a chargé de votre protection mais…

Bertrand réfléchit quelques instants.

oui, je comprends. Depuis quelques années, j’ai noué des liens avec Gwido Langer, mon homologue au Biuro Szyfrów. Je dois lui apporter un certain nombre d’éléments. Il y a déjà eu des dérapages par le passé et depuis il est préférable qu’une telle mission se face à deux. Maintenant si vous vous demandez si vous aurez besoin d’un canon d’artillerie pour le voyage, la réponse est non, Lieutenant. C’est une mission technique, pas la peine de voyage équipé comme des croiseurs, lâcha t il en riant.
c’est parfait ! Voyage en uniforme ?
non. ce qu’il nous faut c’est de la discrétion.
bien reçu.
c’est entendu ! Rendez-vous demain alors ! Donnez votre adresse au sergent Matard et nous passerons vous chercher à 8h précise. A demain, Rémi.

je m'apprêtais à le saluer mais il me tendit une main franche que je saisi.

à demain, Monsieur Bertrand.


Le temps de laisser mon adresse à Matard et je me rendais au sous-sol. Ce sous-sol, c'était un peu l’antre du diable. On y trouvait tout ce qui pouvait, tuer, mutiler, exploser, brûler et bien d’autres choses encore…
L’endroit était tenu par l’adjudant Brunot. Le seul plaisir de l’adjudant Brunot était de tirer ou de faire exploser des choses. Il avait fait toute sa carrière au Bureau et n’avait jamais servi. Pour être honnête il aurait eu l’air totalement ridicule si il n’avait pas eu ce talent pour fabriquer et modifier des choses qui tuent et on le respectait au moins pour ca.

Bonjour Adjudant.
ah bonjour mon Lieutenant, qu’est ce qu’il vous faut ?
c’est pour un retrait.

Il posa ses yeux sur la fiche de retrait de matériel de mission, parti dans ses stocks et revint avec plusieurs boites en bois qu’il ouvrit devant moi. Il y avait dans ces boites un pistolet Walther PP. Petit et discret c’est celui que j’avais choisi. Il était facile à dissimuler et permettait de tirer en 7.65 malgré tout.

ce choix est bon mais peut être un peu léger.

Il ouvrit une boîte contenant un Tokarev TT-33 et une autre qui abritait un ancien Browning 1910 quoiqu’en bonne état.

désolé adjudant, je ne pars pas en guerre.
bon tant pis… J’ai eu Suomi 31 modifiée si vous voulez.
elle pèse combien ?
3 kilos. Avec chargeur droit bien sûr.
désolé, c’est trop. Mais une prochaine fois !

Je prenais l'étui de pistolet Walther et le couteau Fairbanks et les rangeait dans une boîte à verrou. Il était 12h, j’avais l’après-midi pour moi.
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MessageSujet: Re: Rémi de Kerdanet   Rémi de Kerdanet Icon_minitimeVen 15 Mai - 15:23

Il faisait bon. Le soleil tapait fort mais je n’avais pas chaud. L’air du désert se melait à celui de la mer… sel et sable et le parfum des mandariniers le long de la promenade. Le ressac murmurait… la mer qu’on voit danser… Il faisait beau et pourtant au loin un gros nuage noir s'annonçait… Il y allait avoir un orage mémorable… Ce n’était pas un temps à aller faire du bateau… le long des golfes clairs… Je fixais mon regard sur l’horizon. C’etait mon jeu favori depuis l’enfance, voir à l’infini, jusqu’à l’horizon et plus loin encore. Dans un étrange travelling, le monde semblait devenir petit, sombre… les nuages s’ammoncelaient partout et puis bientot il n’y eu que la mer partout. Profonde de quelques centimetres comme avant un raz de marrée… et partout ou je me tournais je ne voyais que moi.. piégé. Piégé par quelque chose. Par la mer ? non… l’orage, le ciel, un bruit de canon..moiu . Et il y eut un éclair assourdissant.

… foutu réveil. J’émergeais difficilement. Et d’abord à qui était cette main sur moi… merde. J’avais passé la soirée dehors, j’avais trouvé cette fille que j’avais ramené chez moi. Qu’aurait dit ma mère si elle avait su la vie nocturne que je menais... mais après tout j’étais un marin et j’en avais pris tous les plis... même les plus mauvais.

-oh merde…
-dis donc… il est tôt…
-hein ? oui oui… dors, je vais me laver.

Je poussais son bras blanc et me rendait sur le palier pour me laver. Théoriquement nous devions vivre en caserne mais ma mère possédait ce petit appartement dans Paris et j’avais eu l’autorisation d’y résider. Être officier dans l’armée française donnait un certains nombres d’avantages, être le fils d’un homme politique, même sur le retour, aussi. Je savais que malgré toutes mes tentatives pour avoir l’air d’un voyou, comme le disait Amerlin, j’avais la tête d’un fils d’ambassadeur et j’en avais les manières.

-t’as pas de café ?
-non. Bon je dois partir.
-tu rentres quand ?
-je ne peux pas te le dire.
-et tu vas ou ?
-je ne peux pas te le dire non plus.

Elle me regarda furibarde, pris ses affaires et parti en lachant un “y en a qui se donnent des genres je vous jure…”.
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MessageSujet: Re: Rémi de Kerdanet   Rémi de Kerdanet Icon_minitimeVen 15 Mai - 15:25

Nous patientions, le capitaine et moi, dans le bar du Bourget. J'étais pour l'occasion Roger Kerouédan, import - export pour la société AniFrance.
Face à face, installés dans des fauteuils de cuir, nous discutions de la pluie et du beau temps au milieu des allées et venues des poignées de voyageurs en partance pour Londres, Berlin ou New York. Il était étrange d’être là, sans uniforme, cette deuxième peau qui avait été “moi” pendant près de 2 ans, discutant avec cet homme à qui j’aurai donné du “mon capitaine” hier encore et que j’appelais simplement “Monsieur”.

Cela faisait 20 minutes que nous échangions des banalités : vieux souvenirs d’Oran, commentaires de quelques gros titres de journaux. Pourtant Bertrand, dont les yeux enregistraient tout ce qu’il voyait, retenait chaque détail, chaque info minutieusement dans sa mémoire. Sous cette bonhomie naturelle, le capitaine cachait un esprit vif. Comme nous n’étions pas en guerre nous parlions librement, au moins en apparence. Le capitaine, avec beaucoup de minutie ne jouait pas un rôle. Et pour cause à cet époque, les choses étaient différentes et il était difficile en si peu de temps d’avoir l’air d’autre chose que ce que nous étions, des soldats.

-J’ai entendu dire que vous étiez fin tireur Kerouedan, lâcha soudain Bertrand d’un regard espiègle et appuyé qui semblait dire “je sais tout mais j’aimerais vous entendre me le raconter”.

C’était il y a quelques mois…

Les grondements du pas de tir avait fini par se taire. Il faisait beau et presque chaud pour un mois de mai anglais et une atmosphère de saine compétition régnait sur le King’s Edward Club, un des clubs les plus prisés des officiers de l’armée de sa majesté. Alors qu’un gurkha en livré relevait les scores des cibles, mon ami Mark s’approcha de moi

“eh ben mon vieux tu n’as pas perdu la main !”

Mark avait une frimousse d’enfant, une tignasse tirant sur le roux qu’il n’arrivait jamais à peigner le tout collé sur un corps élancé de coureur de fond.

“merci mais j’ai un peu peur pour la suite… le boche est redoutable. Et ton canadien aussi.”
“bah ! tu ne devrais même pas être là ! Alors profite !”

Mark avait raison. J’avais profité de l’un de ses passages en France pour repartir avec lui quelques jours en Angleterre, le temps d’une permission. Cela faisait bientôt 5 ans que je n’étais pas retourné à Londres. La dernière fois, j’accompagnais ma mère mais cette fois les choses étaient très différentes. Du moins je le pensais car dès le lendemain, Mark s’était mis en tête de me présenter toutes les personnes qui comptaient selon lui et au lieu de faire la tournée des pub, j’avais fais la tournée des clubs ou de vieux bonhommes discutaient de l’avenir du monde. J’essayais de me montrer le plus courtois possible mais lorsqu’on me demandait mon avis sur l’Empire, je ne pouvais m’empêcher d’affirmer, avec un parfait accent britannique, que l’Empire français se portait très bien... ce qui générait autant de sourires que de grimaces. Finalement, un après-midi Mark m’avait emmené au stand de tir de la base aérienne où il était stationné.
“teste ce que tu veux” m’avait-il dit. Je m’étais alors empressé d’essayer leur lee-enfield qu’on disait excellent. Il était revenu quelques heures plus tard, le bras en écharpe. “J’avais une compétition de tir au club ce dimanche… je ne pourrai pas participer mais toi… tu pourrais” avait il lâché. J’acceptais sur le champ.

Ce que je ne savais pas, c’est que toute la noblesse d’épée européenne serait présente pour voir s’affronter les tireurs émérites de leurs armées respectives. Et j’étais le seul francais. Malgré l’expérience de la première guerre mondiale, l’armée française n’avait pas jugée utile de former des tireurs de précision, chaque chef de section désignait son meilleur tireur, fin de l’histoire. Et puis il y avait quelque chose de trivial dans ce concours qui ne plaisait pas tant à nos généraux.
C’était donc en tant que gentilhomme, venant d’une bonne famille, que j’était autorisé à participer au concours.

Nous étions une dizaine de compétiteurs : trois jeunes officiers de la Wehrmacht, passionnés de chasse, un dandy de la noblesse italienne, un polonais et bien sûr quantité de tireurs issus des rangs de l’armée impériale. L’entente était cordiale, presque joyeuse, chacun venant apprécier nos talents de tireur. Mais nous n’étions finalement que des chiens savants se donnant en spectacle car dans la coulisse un autre jeu, d’ombres celui-ci, se jouait.

“Viens avec moi” me dit Mark, alors qu’un indien en livrée venait de m’apporter de quoi nettoyer mes mains pleines de poudre.

“tu vois cet homme là-bas ?”
“avec König ?”
“oui. C’est Ulrich von Hassell. C’est un diplomate, il est en poste à Copenhague. Et l’italien que tu as battu tout à l’heure c’est le général Gandin.”

Il était évident que des negociations se passaient ici. On nouait des contacts pour plus tard sans doute. Le tir n’était qu’un moyen idéal pour cacher ce que l’on pouvait s’échanger.

“gardes tes oreilles ouvertes” me glissa Mark

Soudain un homme se présenta devant moi et me dit dans un français avec une pointe d’accent anglais “très belle demonstration Monsieur. Lieutenant-colonel Menzies.”

je saisissais sa main, “Lieutenant Rémi de Kerdanet”

Il plongea son regard dans le mien et répéta avec sa pointe d’accent mon nom “Ker-da-net. Je suis sur que nous aurons l’occasion de nous reparler.”
Mark me fit un clin d’oeil et parti avec lui. Je me retrouvais tout seul. Un peu plus loin le tireur polonais racontait combien les soviétiques étaient habiles au tir. Alors que je cherchais du regard un des employés de maison chargé des boissons, un des allemands s’approcha de moi. Il s’appelait Erwin Köning et était, disait-on, le meilleur tireur d’Allemagne. A dire vrai, il m’effrayait un peu. Il y avait quelque chose de froid chez lui, de méticuleux, qui me mettait mal à l’aise.

“Très surprenante résistance, Monsieur” me dit-il
“j’en suis surpris moi même” dis-je un peu timide
“toutefois l’arme a l’air assez récente dans vos mains.”
“oui je n’ai pas l’habitude de tirer avec un Mark III. Mais je suis impressionné par votre Kar 98.”
“vous voulez l’essayer ?”

A ce moment, le gurkha en livrée passa parmi les participants de la garden party avec une cloche pour annoncer la dernière manche du concours.

“une autre fois sans doute” dis je en souriant.

Il ne restait en liste que König, un canadien appelé Carter et moi. Le premier tour se passa sans difficulté particulière et Carter fut éliminé. Il ne restait que moi et Kônig.

“l’épreuve mettra en avant votre rapidité et votre précision. Gentlemen, chargez vos fusils”

König chargea son fusil avec une rapidité déconcertante. Ma lame chargeur neuve se coinca légèrement dans le fusil et les balles ne glissèrent pas aussi facilement qu’elles l’aurait dû. J’essayais de garder mon calme.
Première expiration… Le temps se ralenti
Deuxième expiration… Le silence se fait autour de moi
Troisième expiration… Mes yeux fixent la cible…

la température, le vent sur ma peau, tout mon être guette le tintement de la cloche, emmagasinant le maximum d’information.

Mes poumons sont vides. Je sais ou se trouve la cible. Je baisse les yeux.

tintement de cloche.

Je redresse ma tête en meme temps que mon arme tel un diable sortant de sa boite. 5 tirs, rapides.
premier tir.
deuxième tir, dans le même trou. j'entends des chuchotements et des "oh"
troisième tir. Toujours dans le mille.
quatrième tir. Plus qu'une balle...

mon bras gauche comme à s’engourdir. Ma main droite empoigne le levier du verrou. lever. arrière. la douille saute dans l'air, relachant de la fumée et des résidus de poudre. avant.

A ce moment là, le verrou coince un peu. Je force un peu et finalement ferme la culasse. Je tire mais je n’entends plus König recharger…

je venais de perdre le concours. A cause d'un foutu fusil.

Tout ca me revenait d’un coup. Je relevais la tête, Bertrand attendait mon histoire.

“oh ce n’est vraiment pas grand chose, un petit concours rien de plus. Notre avion est annoncé”

Je me levais avec un petit gout amer dans la bouche et me rendais sur la piste, le capitaine Bertrand sur les talons.
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