Anthropologie anarchiste

Je profite de cette période de confinement pour vous présenter une discipline fort récente et qui me passionne grandement : l’anthropologie anarchiste (parfois appelée anthropologie politique).

Jusqu’ à assez récemment, l’anthropologie était influencée par le marxisme et le structuralisme (de Claude Levi Strauss, complètement tombée en désuétude).
L’anthropologie structurale cherche des structures immuables et invisibles constitutives de tout groupe humain, de toute société. Elle a un côté théorique, descriptif.
L’anthropologie anarchiste interroge le pouvoir et son arbitraire dans les sociétés les plus archaïques ou les plus contemporaines. Elle me parle plus, car elle a un côté pratique. Les grand auteurs ne sont pas uniquement de géniaux universitaires mais très impliqués dans des mouvements sociaux contestataires. Elle propose donc de changer le monde. Elle n’a donc pas uniquement des visées académiques, mais elle nous concerne, touche, interroge, surprend et parfois indigne.
Car nous sommes des primates et comme les chimpanzés et les bonobos nous sommes profondément remués et indignés par l’injustice.
Si on a pas en soi cette complexion, cette émotion de ne pas supporter l’injustice, l’anthropologie anarchiste risque de ne pas nous toucher, voire de nous agacer et désappointer tant elle révèle l’arbitraire de tout pouvoir coercitif.
Vous le savez, je suis anarchiste. Je ne vous ferai pas l’affront de parler de bien et de mal et de me situer du côté de la moraline.
C’est beaucoup plus profond, c’est beaucoup plus primal.
Si vous pensez que la force est la réalité première du monde et que les forts prennent fatalement le contrôle sur les faibles, vous avez un affect de droite. Vous verrez l’idée de justice comme une mièvrerie dangereuse, capable d’accoucher des horreurs des goulags.
Si le spectacle d’une injustice vous remue les trippes et vous empêche de dormir, vous avez un affect primordial de gauche. Prenez garde, vous pouvez facilement devenir un sale con sentencieux ou un doux rêveur : c’est affaire de degrés. L’anthropologie anarchiste pourrait vous intéresser.

Vous rétorquerez sans doute que l’homme oscille sans cesse entre le principe de conviction et le principe de réalité, soit pour le dire avec des ismes entre réalisme et idéalisme. J’ai simplement voulu montrer que cette distinction se situe au niveau des affects, du ressenti et que beaucoup ont une complexion de droite et de gauche.

Le fondateur de l’anthropologie anarchiste, c’est Pierre Clastres, malheureusement disparu à 43 comme il posait l’ébauche d’une discipline qui devait lui survivre.
Dans la société contre l’état, Clastres s’intéresse aux sociétés amérindiennes de la forêt. Les tribus ont toutes un chef sans pouvoir (mis à part en situation de guerre). Il montre que ces sociétés archaïques, primitives ont des mécanismes subtils pour empêcher les chefs de devenirs autoritaires.
Quand ceux-ci cèdent au pouvoir violent, ils sont rejetés tels le tragiques Geronimo par leurs peuples
C’est bien par ce que nous avons failli à protéger nos communautés contre des groupes institués violents que nous sommes devenus des sociétés étatiques et coercitives. Ainsi, de la perspective des sauvages c’est nous les barbares (et il suffit de se rappeler du traitement des indiens par les conquistadors pour vérifier de quel côté est la violence).
Clastres eut de nombreux continuateurs : Scott (dont je vous recommande le fabuleux homo domesticus) et bien sur le célèbre Graeber (dont les livres 5000 ans de dettes, bullshit jobs et bureaucratie m’ont bouleversé). Bien sur, ces 2 auteurs sont deux militants anarchistes (surtout Graeber) et selon les ouvrages ils nous parlent des civilisations les plus reculées ou de notre société contemporaine. On est touché au cœur par ces 3 auteurs, qui déroulent sous nos yeux les pièces d’un puzzle passionnant.
L’histoire de l’humanité est souvent confondue avec l’histoire de la force et de la violence, mais de nombreux groupes humaine au fil des âges ont élaboré les germes d’une démocratie directe, qui ne tolère pas l’injustice et la captation du pouvoir par des groupes ou individus violents : les démocraties primitives amérindiennes, les sociétés de chasseurs-cueilleurs du paléolithique, la démocratie athénienne, la commune parisienne de 1870, les cités féodales, les communautés barbares aux limes de l’empire romain, les pirates, la république catalane de 1936,…

Bien sur si on a une complexion de droite, on renverra tous ses modèles sociaux dans l’utopie et l’éphémère. La force et la violence sociale finissent toujours par triompher et les grandes guerres des anarchistes sont des guerres perdues (Makhno ou la guerre civile espagnole par exemple).

Pour ce qui me concerne, je n’arrive pas à me résoudre à ce constat. Cette guerre que livrent les anarchistes contre le pouvoir violent est une guerre de représentation. C’est bien par ce qu’ils ont colonisé notre imaginaire que l’idée d’une alternative semble impossible.
Et je pense que si l’on avait dit à un habitant du dix neuvième siècle que l’humanité marcherait un jour sur la lune, il ne l’aurait sans doute pas cru possible. Et c’est bien la le grand drame : si le projet technique est indéniable, il ne s’est pas accompagné de progrès moraux, politiques ou spirituels.
C’est ce découplage entre nos outils et notre puissance de réflexion qui finit par placer des idiots utiles à la tête des plus grandes puissances...

Je vous laisse avec une conférence du fabuleux De Moule si vous souhaitez approfondir le sujet :