Désobek Reis

Désobek - Celui que Sobek a donné


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Si je vous demande quel est votre plus ancien souvenir, quelle serait votre réponse ? Il est difficile pour les mammifères de se souvenir de ce genre de choses. La mémoire se nettoie pour laisser place à de nouveaux souvenirs. Parfois, sous les bonnes conditions, des souvenirs plus lointains peuvent remonter. Certains revoient leurs premiers pas, voir même leur naissance.

Quel est mon plus ancien souvenir à moi ? Je me souviens aisément de la sensation de chaleur et de protection absolue de la matrice maternelle mais voulez-vous vraiment connaître mon plus ancien souvenir sous les bonnes conditions ? Êtes-vous prêt à remettre en question ce que vous pensez pouvoir connaître du monde ?

Je me revois déchirer de mes mâchoires la chair d’un énorme herbivore que je viens de faire tomber au sol. Je sens le goût de son sang chaud couler dans ma gorge alors que les siens continuent de fuir, échappant ainsi à ma morsure mortelle. Il s’était approché pour boire et moi j’avais faim, pourquoi aurais-je dû faire autrement ?

Ne faites donc pas ce regard outré, il s’agissait d’un autre temps, d’autres lois. Les mammifères sont persuadés de détenir seuls la bonne vision d’un monde dont ils ne connaissent rien. Pourquoi je vous parle de cela ? Nous sommes entre personnes civilisées, je sais contenir ma faim un moment. Après tout c’est bien pour cela que êtes venu ici n’est-ce pas ? Votre famille recevra la bénédiction de Sobek mon ami. Puisse Pharaon être bienveillant avec eux et Maât juger votre sacrifice avec toute la clairvoyance qui est sienne.

Le réveil est dur après un rêve d’une telle intensité. J’ai encore le goût de l’homme dans la bouche alors que je lance à mes frères et soeurs leur nourriture. La chair crue disparaît entre leurs gueules alors qu’ils se servent chacun leur tour, les plus gros mâles en premiers puis les autres. J’ouvre alors moi-même la bouche en grand, ce rêve m’a donné donné faim… La pièce de viande ne tarde pas à disparaître alors que j’essuie, à l’aide d’une serviette, le sang imbibant ma barbe.

Je reste un moment à contempler l’eau provenant directement du Nil par le biais des anciens canaux du Labyrinthe. Cela faisait longtemps que je n’avais pas rêvé de Petsuchos, le premier d’entre eux qui plus est. Il avait été mon premier rêve il y a des années de cela. Mère m’avait appris à traverser la Mnésis et j’avais pu voir celui-ci observant son père, mon père à cet instant. A cette époque, à par lui, nous restions majoritairement des suchis, la vie était alors plus simple.

Je cligne des yeux alors que je vois le visage de Senbi sortir des eaux. Je tends vers lui une mains contre laquelle il vient presser son museau. Je souris avant de me redresser lentement. L’heure n’est plus au repas ou aux marques d’affection. Aujourd’hui je dois aller retrouver un vieil ami à la bibliothèque. Je ne peux m’empêcher de soupirer en entendant l’appel à la prière et presser le pas, désireux de quitter cette folie humaine au plus vite.