j’ai vu le jour en decembre 1990, dans la Maison de Naissances du Centre, la N°3, celle de l’Arbat, à Moscou. En pleine Perestroika j’ai joint mon premier hurlement de nouveau-née à la Glasnost ambiante. Neuf mois plus tard eclatait le putch qui a définitivement enterré la vielle « urss » ainsi que mes parents, quelques semaines (ou mois ?) plus tard. Ils ont tous deux été suicidés en prison, à Loubianka, mais ça je l’ai appris des années plus tard… En fin été 1991 j’avais entamé mon périple à travers des orphelinats…
mon premier souvenir, ce n’est ni le visage de la mere, ni du père - je ne les ai jamais connu en quelque sorte – ni les photos souvenirs… non, c’est les fetes de Nouvel An, les gros Peres noel barbus et les jolies Snegourotchka aux longues tresses blondes, et leurs cadeaux, souvent un paquet de bonbons ou une tablette de chocolat… c’est les rondes autour d’un sapin immense sentant bon la seve… c’est les roulades et batailles dans la neige… je crois que dans mes souvenirs l’été durait peu : c’était la saison des ballades dans la foret, des baies, des baignades dans les lacs et surtout la saison des moustiques. Normal dans les marécages de la région d’Arkhangelsk. C’est au bord de la mer blanche, au sud. Les iles Solovki ne sont pas loin…
puis on m’a fait changer d’orphelinat. j’avais 9 ans. C’était ma « malediction d’aout » à moi… oui, parce que statistiquement c’est en aout que des choses terribles arrivent : le putch, un avion qui s’est ecrasé, la crise financiere de 1998, les attentas contre les immeubles en 1999… il y a des quoi alimenter une théorie complotiste…
bref, mon nouveau domicile était encore plus au nord-ouest, vers la finlande et il s’est averé un veritable enfer, où je fus designée « victime » par mon nouveau tortionnaire (Yuri dans le civil, courtaud sur pattes et crane rasé comme tous les garçon – ca faisait partie du programme de lutte contre les poux, nous les filles c’était coupe courte et rasage au moindre soupçon du propagateur du typhus…). Au début c’était pour rire… puis les « blagues » devenaient plus lourdes et mes cahiers se couvraient de taches d’encre ou d’immondices et moi je me couvrais de bleus et d’ecorchures… je dormais peu, difficilement… et de moins en moins. Alors j’ai fugué. J’ai passé 3 jours dans les marecages et ils m’ont retrouvé avec les chiens. Une semaine à l’infirmerie… au calme… puis Yuri m’a souhaité le bon retour … à sa façon…
j’ai refait des fugues, mais plus courtes, sur une journée ou la nuit, une sorte de reconnaissance du terrain des alentours et je me debrouillais pour dormir ailleurs qu’entre les murs betonnés de la Maison des Enfants, où Yuri se debrouillait toujours pour me retrouver avec sa bande de suiveurs ricanants. Chaque escapade m’a valu des sejours plus ou moins long dans l’isoloir… mais ça m’arrangeait.
J’ai appris à chasser (des rongeurs, lezards et petits oiseaux, mais à l’epoque j’en etais solitairement fiere), à dormir dans des arbres et à frapper fort. Comme les boxeurs qu’on voyait à la télé je frappais dans les gros tas de mousse humide…
et j’ai preparé mon embuscade…
finalement le Yuri avait mordu à l’hameçon et m’a suivi dans l’une de mes escapades dans les marées. Il n’en est jamais revenu…
je me rappelle que j’ai frappé sa tete avec la branche jusqu’à qu’elle casse, à chaque coup il s’enfoçait un peu plus, et une voix me tambourinait les tempes et la poitrine « tue… tue … tue … tue … tue … »
c’était en aout. J’avais dix ans…
et j’avais aussi un temoins de la scene. Au mauvais endroit au mauvais moment, comme on dit. Théodore Golitsyn. Un bienfaiteur de notre Maison de Enfants et en vacances dans la région.
Théodore Golitsyn a assisté à mon interrogatoire par la psy et la directrice de la Maison et declara que je devais etre placée en institution spécialisée où il me mena lui-même à la fin des vacances.
J’ai quitté l’enfer pour une école privée avec pensionnat dans un monastere orthodoxe dans la région de Kazan.
J’ai decouvert une autre vie, celle des etudes et des casinos, des clubs de tir et des dojos d’entrainement, des studios de peinture d’icones et des salles de tatouages… celle d’un chien silencieux et fidèle des Golitsyn
J’arbore sur mon flanc une discrete tete de mort entourée d’une tulipe, signe que j’ai tué encore mineure. Sur le haut de mes seins des chrerubins, un oeuil entouré de 3 paires d’ailes (car j’ai à l’œil tous ceux qui m’entourent). Sur le dos je porte un crucifix ouvragé (sans Jésus, car il n’est pas bon de crucifier sur soi le Fils). Sur mes mains quelques « bagues » montrant mon statut au sein de la grande Famille des Vory V Zakone…
Sur ma poitrine c’est l’icone de la Vierge, auréolée d’un soleil.
Et sur ma nuque la trace qui restera à jamais de la balle qui m’a tué…