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 Travail, distraction, activité et repos

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MessageSujet: Travail, distraction, activité et repos   Travail, distraction, activité et repos Icon_minitimeLun 11 Mai - 17:34

Modalités de la vie humaine.

Dans son formidable livre, Condition de l’Homme Moderne, Hannah Arendt, définit 3 modalités de la vie pratique : le travail, l’œuvre et l’activité.
Le travail qui n’est pas spécifique à l’Homme (on peut parler d’animal laborans) est l’activité qui permet la subsistance
L’œuvre consiste à métamorphoser l’Homme en créateur, artisan, artiste, savant.
L’activité est la libre délibération humaine comme dans le cas politique. Elle doit permettre l’usage de la liberté humaine.

Je voudrais, en m’inspirant de Hannah Arendt proposer à mon tour, très humblement 4 modalités de la vie : 2 actives et deux passives. Dans chaque cas il y aura une activité positive et une négative.
Je proposerai aussi une ébauche de la transformation des activités négatives en activités positives.
Je ne prétends à aucune originalité et sans doute ce classement correspond un peu à une approche marxiste.
Les 4 modalités de la vie pratique sont : le travail et la distraction (deux modalités négatives) et l’activité et le repos (activités positives). Ces 4 modalités sont en regard : travail et activité correspondent à la vie active. Distraction et repos à la vie passive.
Je suggère autant que possible, dans la limite de la liberté de notre existence de transformer le travail en activité et la distraction en repos.

Commençons par le travail et la distraction. Ces deux modalités s’enchainent souvent dans nos existences, comme un véritable piège ne nous laissant aucun temps libre, aucune énergie pour l’activité et le repos.
LE TRAVAIL

Le travail provient de tripalium, antique instrument de torture. Il génère une véritable souffrance, une nécrose du potentiel humain. Loin de se développer comme dans l’activité, l’Homme qui travaille voit son potentiel physique, psychique, spirituel, moral et relationnel régresser.
Il me semble que Karl Marx a parfaitement décrit la violence du travail sur l’existence humaine.
Le prolétaire qui loue sa force de travail au capitaliste devient un substitut d’esclave, un salarié. Son corps, son esprit ne lui appartiennent plus. Le capitaliste, qui rémunère la location de la force de travail peut en disposer à sa guise. Il est aliéné.
Théoriquement, pendant le temps du travail professionnel, le capitaliste peut exiger tout ce qu’il veut de son salarié (même si on objectera qu’il y a des limites fixées par le droit du travail et la dignité humaine). Le capitaliste n’est pas tenu à l’arbitraire mais à la dictature du rendement. Comme il achète la travail du salarié, il doit en disposer avant tout pour que celui-ci lui permette de générer le maximum de bénéfice (que l’on parle de plus value comme chez Marx ou d’aubaine comme chez Proudhon). Le travail est donc contraint au rendement ou à la performance.
Dans un monde ou l’ensemble des travailleurs sur toute la Terre sont mis en concurrence, ou l’on crée un gigantesque marché du travail favorisé par la libre circulation des biens et des personnes, la condition du travailleur devient vite infernale.
Le but du capitaliste étant de dégager en permanence des marges, le travailleur va être poussé à la limite physique et psychologique extrême de ses capacités. Il en résulte une souffrance terrible qui confine à la torture dans les secteurs les plus concurrentiels.
On objectera que le système a tout intérêt à ce que le travailleur soit heureux donc en état de travailler efficacement. C’est mal raisonner. Lorsque les travailleurs sont mis en concurrence pour la location de la force de travail partout sur la planète se crée un gigantesque marché du travail.
Comme tous les marchés, celui-ci possède des stocks. Que sont les stocks de réserve dans le marché du travail ?
Marx les nomme armée de réserve du capital. On ne peut pas comprendre le capitalisme post moderne si l’on n’a pas intégré que la constitution de stocks de réserve de travailleurs, de chômeurs donc est une nécessité absolue du système pour se perpétuer. Le chômage massif est donc absolument nécessaire et indispensable au capital. Il permet de transformer le travailleur en consommable, en ressource, en stock.
L’explosion des burn out, bore out harcèlement, maladies professionnelles est absolument indispensable. Loin d’être déplorée par les capitalistes, elle montre au contraire le bon fonctionnement du marché du travail.
Je m’explique : comme il dispose de réserves considérables de chômeurs, le système capitaliste peut se permettre de « casser » des travailleurs, puisqu’il peut les remplacer à sa guise. Lorsque ceux-ci deviennent improductifs, ils peuvent aisément être substitués par de nouveaux travailleurs substituables à leur tour.
Car le système ne peut bien fonctionner que si la grande majorité des travailleurs est substituable. Comment cela peut-il venir ? par la standardisation des prolétaires. Les grands managers qui se sentent indispensables sont souvent horrifiés par le fait qu’ils sont tellement facilement remplacés quand ils se cassent une jambe ou prennent leur retraite. Leur orgueil professionnel ne peut souvent soutenir cette constatation, et ils reviennent souvent hanter comme des âmes en peine l’ancien lieu de leur travail. Le marché du travail doit absolument minimiser les postes de travail indispensables qui ne permettent plus de mettre en concurrence la force de travail.
Comment parvient-on à la standardisation du travail ? En automatisant celui-ci, en le rendant abêtissant pour le travailleur. Le travail n’est pas uniquement une torture, il est aussi une répétition à l’identique, de gestes, de processus parfaitement définis et calibrés. Comme dans l’enfer grec des Danaïdes ou de Sisyphe, le travailleur va devoir répéter, réitérer les mêmes gestes toute sa vie. Cela peut rendre fou.

Je n’ai pas été original. Je me suis contenté de suggérer une ébauche de la théorie marxiste concernant le travail.
Pourtant, il ne faut pas caricaturer cette théorie.
Confucius a dit : « choisi un travail que tu aimes et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie »
Il peut arriver qu’à la faveur de circonstances exceptionnelles et qui tendent à devenir de plus en plus rares, le travail n’est pas subi mais choisi. Il n’est pas – entièrement – aliénant et concourt au développement des capacités du salarié ou de l’indépendant. On l’aura anticipé, dans ce cas, il ne s’agit pas vraiment de travail, mais bien d’activité qui est son exact contraire. Nous y reviendrons plus tard.

LA DISTRACTION

Que fait le prolétaire (ou sa déclinaison managériale) quand il ne travaille plus. Éreinté, épuisé, n’en pouvant plus, il se traîne à son domicile. Souvent les tensions physiques et psychiques accumulées dans la journée ne partent pas d’elles-mêmes. Il lui faut un cordial, un remède : ne plus penser, ne plus souffrir, en un mot se distraire.
La distraction est le complément prescrit du travail. Elle en est le prolongement, la continuation.
Elle constitue une grave aliénation.
Parce qu’il ressent un profond désarroi existentiel, parce qu’il ne peut supporter l’idée de sa propre compagnie, le prolétaire doit fuir et se fuir.
La distraction est exactement cela, un biais de fuite.
La production est au travail ce que la consommation est à la distraction. Incapable d’affronter l’idée même de solitude, d’ennui qui est le prémisse de la pensée et de l’activité, le prolétaire peut consommer un des loisirs qui ont le mérite d’occuper son cerveau et sa disponibilité pour autre chose.
Patrick Lelay, l’ancien patron de TF1 a parfaitement défini le métier de TF1 comme étant de vendre du "temps de cerveau disponible".
Tout comme l’esprit du prolétaire est parfaitement occupé lorsqu’il travaille, il le sera également lorsqu’il se distrait.
Se distraire est donc se couper de soi-même, de toutes les potentialités du corps et de l’esprit.
Le travailleur mutilé par son travail est comme dans l’incapacité de retrouver son intégrité.
La société du loisir, des vacances et de la consommation fournissent ainsi des exutoires fabuleux à des corps et des esprits brisés.
Surtout le spectacle semble être le point culminant du loisir, de la distraction. Le spectacle place le travailleur désœuvré dans une situation particulièrement passive de commentaire, de visionnage de la vie des autres.
Plutôt que d’éprouver la joie de faire du foot par exemple, le spectacle diffusé sur des écrans d’un match de foot semblera milles fois préférables.
Le sport quand il est pratiqué peut être un formidable outil d’émancipation, une vraie activité.
Mais lorsqu’il est uniquement un spectacle, le sport et le foot en particulier peuvent drainer les pires passions par procuration, la frustration, la violence refoulée, le chauvinisme, voire les formes les plus rances du nationalisme. Sur ce dernier point, les journalistes qui sont les premiers à dénoncer les fièvres nationalistes qui agitent épisodiquement les populations les favorisent lorsqu’il s’agit d’un objet de gloriole dérisoire, futile, stupide, grotesque : la victoire d’une équipe portant des maillots colorés poursuivant une "baballe" pendant un match.
Je ne veux pas laisser entendre que je critique le sport ou le foot en particulier. Le sport est un pharmakon, il peut être un remède (activité) ou un poison (spectacle), parfois les deux.
Le danger du spectacle a bien été décrit par Rousseau ou Debord. Au siècle de Versailles déjà, Rousseau s’offusquait de la mise en scène du pouvoir entre les agissants qui se donnent en représentation et se mettent en scène et le public qui doit se contenter de commenter les prestations et performances des autres. Pour donner un autre exemple, la politique est devenue ainsi un commentaire du bistrot. Elle avait jadis une fonction décisionnelle. Bourdieu a bien montré que les débats télévisés étaient un pitoyable spectacle, véritable substitut idéologique du catch. Les spectateurs s’échauffent le sang par procuration pendant des heures avant de retourner à la vacuité d’une existence vide de véritables choix politiques. Nous y reviendrons dans un texte ultérieur.
L’aboutissement du spectacle, c’est la société des écrans. La futilité et le nihilisme médiatique y parviennent à un paroxysme de bêtise, de désinformation et d’indigence.
La société est à présent organisée par les puissants comme une gestion des flux de l’attention.
La panoptique permet ainsi la surveillance comme le merveilleux "Surveiller et Punir" de Foucault l’a bien montré. Les dispositifs de panoptique inventés par Bentham permettent via drones, caméras de surveillance équipées de reconnaissance faciale et traçage, la surveillance généralisée de tous et de toutes par un petit nombre.
La synoptique qui est exactement le contraire est la concentration de l’attention des foules. Aux mêmes heures, des millions d’humains éprouvent par procuration les mêmes émotions régressives en vivant par procuration les scènes de la télé réalité. Cette massification incroyable permet de fixer l’attention des masses qui n’est plus dés lors disponible pour penser le monde ou s’émanciper via l’activité ou le repos.
Panoptique et synoptique nous mettent en permanence dans la situation du voyeur ou de l’espionné à une échelle collective, véritable démence schizophrène de mise en abîme de la réalité.

Nous avons évoqué de façon détaillée la complémentarité du travail et de la distraction dans la mise en place d’un dispositif très savant d’aliénation des populations. On n’échappe au travail que pour plonger dans la distraction. Les possibilités les plus propres de l’existence humaine sont à peine entrevues.

Nous allons maintenant parler de l’activité.
L’ACTIVITÉ

Elle est le contraire du travail. Elle permet le déploiement, l’amplification de tous les talents, les savoirs faire, les savoir  être, les savoir vivre. Elle inscrit l’homme dans un chemin de perfectionnement sans fin. Elle demande de l’effort, du temps, de la ressource, du « cerveau disponible ».
Il est important de préciser qu’elle est rarement rémunérée. Avoir une activité rémunérée plutôt qu’un travail rémunéré est une chance extraordinaire.
Nous l’avons montré dans la première partie sur le travail, l’organisation moderne du monde du travail laisse à peu de personnes la possibilité d’avoir une activité rémunérée. Le plus souvent, celle-ci aura lieu en dehors du temps de travail. Comme l’activité demande de l’effort, elle est peu compatible avec des organismes physiquement ou psychiquement tellement éprouvés qu’ils peuvent tout juste se contenter de glisser jusqu’ à leur canapé pour visionner un spectacle distrayant.
Cet effort est par ailleurs le contraire parfait de la distraction qui n’en demande aucun.
De même que les écrans aliènent et provoquent un désarroi existentiel parfois invisible, l’effort de l’activité génère de la joie et du bonheur. C’est même sans doute la grande joie existentielle dont parlait Spinoza dans ses écrits.
L’activité est celle de la vie, de toutes ses potentialités, de toute sa richesse. Loin de faire de nous les clones d’une masse grouillante de prolétaires (travail) ou de spectateurs (distraction), elle nous individualise et nous singularise en actualisant le potentiel le plus authentique de chaque être.
On peut être des milliards à regarder un match de foot, mais devenir un joueur exceptionnel demande un effort et une application sans failles mobilisant et amplifiant de nombreuses qualités humaines. Je renvoie au livre de Michea, « le plus beau but était une passe » pour développer ce point.
Il semblera à ce point que la boucle est bouclée et que nous avons décrit avec le travail, la distraction et l’activité les 3 modalités principales de la vie humaine.

LE REPOS

Je voudrais maintenant montrer que comme le travail conjugué à la distraction forment un piège diabolique d’aliénation, l’activité elle-même suppose et entraîne le repos qui est le contraire de la distraction.
Je pense même qu’il est nécessaire d’être au repos en amont de l’activité.
Expliquons :
Quand il rentre éreinté, presque dégoûté de lui-même de son travail, le prolétaire reçoit le chant des sirènes de la distraction, du spectacle et des écrans qui le conduit à achever son aliénation en se coupant de sa pensée devant les écrans.
La plupart des vies humaines sont comme l ‘alternance de l’affairement stakhanoviste et de la déconnexion de soi dans les écrans. On court de taches à accomplir en plages de possession, envoûtement devant les écrans. Un jour la vie s’arrête ; on est mort.
Sur le modèle de Heidegger, je voudrais évoquer l’image du minotaure :
Du matin où l’on naît, on est lâché dans le labyrinthe de l’existence. On se met rapidement à courir poursuivi par le Minotaure. Celui-ci nous terrorise au delà de tout. On va consacrer sa vie à éviter de se confronter au minotaure. L’affairement et la distraction permettent de tenir à l’écart un temps le minotaure. Et sans doute peut-on réussir à la fuir toute sa vie. Ce qui convoque le minotaure, c’est la contemplation de soi. Il faut donc fuir dans l’aliénation.
Car s’il nous cerne dans un cul de sac ou nous rattrape, le minotaure va nous saisir par le col et nous poser cette question terrible : « qu’avons-nous fait de notre existence ; quel sens a – t – elle ?)
Le minotaure, c’est la peur de nous-même et du potentiel de l’existence, c’est l’angoisse (Heidegger), c’est la nausée (Sartre). Nous préférons milles fois mener une vie réduite et amputée que confronter le minotaure.
Se reposer, c’est exactement cela : confronter le minotaure.
Au lieu d’allumer un écran et de tuer notre esprit libre et agile, nous pouvons par exemple nous poser sur un lit et laisser l’ennui, les pensées vagabondes et l’angoisse affluer en nous. Ce n’est qu’ à cette condition seulement qu’on peut vraiment se reposer.
Se lever de son lit, refuser l’ennui et l’angoisse, c’est fuir.
Voila, la bête approche : le minotaure est la, qui souffle contre notre nuque. Tournerons-nous la tête dans sa direction ? Que découvrirons-nous ?
Au lieu de l’ignoble mufle de la bête, nous voyons le visage d’un enfant. Celui que nous étions, celui qui n’a jamais cessé de vivre sous la pelisse et la carapace de nos mensonges.
L’enfant est beau, plein de rêves et de merveilles.
Mais la vie ou le regard des parents ont tué ce bel enfant. Il a disparu.
Il n’est pas mort. Le repos permet de régénérer le potentiel existentiel de l’âme. Nous sommes des créateurs de mondes. Nous aspirons au sublime. La vie peut être une ascension vers le surhomme via le perfectionnement perpétuel.
Voila, le souffle mystique, l’énergie divine commence à nouveau à affluer en nous. Le merveilleux et le terrible peuvent avoir de nouveau leur part dans notre existence ;
Oubliée la grisaille de l’usine, le fouet du manager / contremaître : l’Homme est une chose belle à contempler, désirable en toute chose. Ou pour le dire comme les écritures : il est bon que nous existions.
Retrouvons le contentement vital, le joie d’exister, l’aspiration au bien, au beau au vrai.
Le souverain bien nous a permis d’échapper  à la caverne et nous jetons à nouveau un regard émerveillé et reconnaissant sur la réalité.
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MessageSujet: Re: Travail, distraction, activité et repos   Travail, distraction, activité et repos Icon_minitimeMer 13 Mai - 14:53

une lecture passionnante! Si seulement la société pouvait entamer une telle reflexion... On mettrait beaucoup de choses en marche je pense
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