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 Les vœux du moine

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MessageSujet: Les vœux du moine   Les vœux du moine Icon_minitimeLun 14 Sep - 20:56

Les vœux du moine

Dans les ordres religieux catholiques, les moines et les prêtres prononcent 3 vœux : l’obéissance, la chasteté et la pauvreté.
Je vous propose une réflexion qui prendra pour point de départ ces 3 vœux, qui me semblent incarner autant de valeurs chrétiennes. Nous laisserons le récit nous entrainer aussi loin qu’il le veut.
Bien sur, tout texte suppose un auteur : je suis anarchiste et catholique (cela peut sembler à première vue un oxymore quand on n’a pas suffisamment réfléchi sur l’articulation des 2 notions). Je n’aspire pas à la vérité, ni même à la certitude, je produits juste ici un « effort ».

Les vœux du moine : obéissance, chasteté et pauvreté
De nos jours, imprégnés de pseudo Nietzschéisme, nous avons tendance à critiquer ces 3 vœux sommairement, à y voir un renoncement à la vie et au monde.
Vous servirez « perinde ac cadaver » trouve-t-on dans les commandements de la compagnie de Jesus. Cette injonction à se comporter à l’imitation d’un cadavre peut donner une fausse idée des vœux, qui semblent un triple renoncement au pouvoir, à la fortune et à la sexualité, une culpabilisation de désirs consubstantiels à l’être humain.
Je voudrais produire ici une réflexion qui ne prétend pas à l’originalité, mais qui aura la vertu de se démarquer de la doxa contemporaine.

Pour produire cette interprétation, je solliciterai la philosophie d’^Heidegger telle qu’elle est exposée dans Etre et Temps :
L’être humain (le Dasein pour Heidegger) se trouve pris ontologiquement dans un triple rapport : au monde, à lui-même et aux autres. Ce rapport est originellement un soucis, une sollicitude. Nous sommes « ouverts »
Quand ce rapport, cette ouverture est harmonieuse, nous vivons une existence authentique.
Quand nous sommes fermés, nous vivons une existence réduite, repliée, coupée du monde, des autres et de nous – même. C’est ce que Heidegger appelle le dévallement de l’être.
Comment se manifeste une vie réduite, inauthentique ?
Le rapport à l’autre quand il est faussé donne le pouvoir. Ce pouvoir infâme (car il en existe un aspect bien plus lumineux qui est la maitrise sur soi) est la violence. L’être violent tend à dominer ce qui l’entoure, à réduire et à briser ce qui contrecarre sa volonté et ses désirs.
Le rapport au monde quand il est faussé donne la pléonexie. Le pléonexe cherche avant tout à accaparer, à posséder. Cette soif de possession infinie va faire du monde une extension de soi-même. Plutôt que de devenir les bergers du monde, les contemplateurs de la merveille du vivant et du cosmos, en tant que nous sommes pléonexes, nous transformons le monde en une gigantesque réserve de puissance et d’énergie. Nous le métamorphosons, nous le réduisons, nous le détruisons. Mais par ce que celui-ci est aussi notre environnement (dans le sens ou l’eau est l’environnement d’un poisson) nous nous détruisons aussi.
Le rapport à soi quand il est faussé donne la jouissance. Par jouissance, j’entends des êtres parfaitement pulsionnels, sans sur moi (pour reprendre les termes de Freud), incapables de résister à l’impulsion de leurs désirs. L’addictif est la manifestation de la servitude à soi. Pour les anciens, la véritable liberté ne résidait pas dans l’assouvissement des passions, mais dans leur maitrise.
J’ai ainsi défini 3 types humains inauthentiques : le violent, le pléonexe et l’addictif. Ces 3 types sont des détournements du potentiel divin de l’existence qui se manifeste dans un rapport harmonieux aux autres, au monde, à soi.
C’est le refus de ces 3 comportements inauthentiques qui se manifeste dans les vœux monastiques : l’obéissance vient ainsi refuser la violence infligée aux autres.
La pauvreté qui préfigure parfaitement la sobriété heureuse des décroissants refuse la pléonexie qui détruit le monde.
Enfin, la chasteté, que je ne comprends pas du tout limitée à sa composante sexuelle lutte contre l’addiction de la jouissance qui est une servitude à soi-même.
On comprend comment Heidegger nous a permis de donner un sens à des valeurs chrétiennes qui semblaient purement négatives. L’obéissance, la pauvreté et la chasteté seraient un moyen spirituel de restaurer un rapport harmonieux aux autres, au monde et à soi-même.

Je veux maintenant montrer que d’autres réponses existent que la réponse chrétienne :


Les valeurs aristocratiques : honneur, prodigalité, courtoisie.
Les valeurs chrétiennes semblent avoir connu leur zénith pendant les âges d’or du christianisme. C’est aller un peu vite, car le pouvoir était partagé pendant la période féodale entre une caste religieuse (incarnant le pouvoir spirituel) et une caste guerrière et aristocratique (incarnant le pouvoir temporel).
Les valeurs aristocratiques sont différentes de celles du clergé, tout en leur répondant. Elles ne sont pas opposées mais bien complémentaires.
Le rapport aux autres, qui est régi dans les ordres religieux par l’obéissance est incarné par l’honneur dans les ordres guerriers. De fait, l’adoubement est une entrée dans les ordres guerriers, assortie d’un vœu. L’idéal de l’honneur n’est pas uniquement une apologie de la violence martiale, mais une vraie monnaie sociale, ce qu’incarne la dette d’honneur. L’honneur devient un patrimoine symbolique qui peut a été durement constitué par des ancêtres illustres et qui peut être gâché par un seul acte d’infamie. L’homme d’honneur est donc en rapport perpétuel avec ses ancêtres et ceux de ces adversaires. Il est moins dans une relation spatiale que temporelle.
Le rapport au monde qui est régi dans le monde religieux par la pauvreté est incarné dans la noblesse par la prodigalité. Celle-ci n’est pas la pléonexie qui conduit à l’accaparement. Le noble ne doit pas être riche, il doit être munificant. Il doit faire profiter de ses largesses sa maisonnée et bien souvent la cassette des plus grands seigneurs était vide. C’est une autre forme de monnaie sociale, un moyen de remercier, de gratifier et de faire honneur. Le prestige obtenu est presque la prolongation de l’honneur.
Enfin le rapport à soi qui est la chasteté pour le clergé est la courtoisie pour la noblesse. Celle-ci n’est pas la luxure, mais bien une prolongation de l’honneur dans le champ amoureux. On rend égard à la Dame comme on s’incline devant le suzerain. Une autre forme d’honneur, non plus restreinte aux combattants est inaugurée pouvant préfigurer la galanterie dont les hommes s’enorgueillissent envers les femmes.
Les valeurs aristocratiques sont très subtiles. Elles se distinguent clairement des valeurs spirituelles sans pouvoir être considérées simplement comme leur opposé. L’honneur est subtilement différend de la simple violence, tout comme la prodigalité n’est pas l’accaparement du pléonexe et la courtoisie n’est pas l’addiction du luxurieux.
Cette subtilité est une sublimation, un encadrement des 3 passions inauthentiques. Les valeurs aristocratiques enchassent les relations de pouvoir, de possession et de séduction dans un jeu à règles complexes dont l’essence réside dans la définition antique de l’aristocratie : le règne des meilleurs. C’est un concours, une vraie compétition qui est proposée dans le but de produire sur le modèle arthurien le « meilleur chevalier du monde ». Cette rivalité mimétique vers l’excellence dans les arts guerriers, de la réception et amoureux contribue à constituer une élite féodale.

Les valeurs bourgeoises : pouvoir, richesse et désir
L’entente entre le clergé et la noblesse, l’alliance de l’autel et du trône est troublée historiquement par l’ascension de la bourgeoisie.
J’ai nommé ces 3 valeurs bourgeoises pouvoir, richesse et désir.
Ces 3 valeurs peuvent sembler excellentes dans une première lecture. Nous baignons en elle comme une griotte dans de l’eau de vie, et bien souvent nous ne sommes plus capables d’en percevoir la négativité.
De nos jours, toutes les communautés humaines (religieuses, de genre, ethniques, territoriales, économiques, sociales) aspirent au pouvoir. Les individus eux-mêmes, de la maternelle à la maison de retraite sont placées en situation d’émulation. C’est la guerre de tous contre tous. L’idée pour un groupe humain, une société ou une communauté, pour un individu de ne pas pouvoir accéder au pouvoir semble être un échec total. On classe l’humanité en gagnants et en perdants, les premiers sont plein de mépris, les seconds plein de ressentiments.
Cette poursuite absolue du pouvoir emmène à mon avis au déchainement de la violence généralisée.
De la même façon, l’enrichissement illimité est perçu comme l’objectif avoué d’une partie de l’humanité. Qui, ayant connu la pauvreté refuserait d’accéder au rang des milliardaires, ces nouveaux princes non plus spirituels ou temporels mais bien matériels ?
Enfin, nous sommes la civilisation du plaisir et du désir. Refuser l’assouvissement de ces penchants est vu comme un masochisme. La publicité cherche exactement cela, nous transformer en machines désirantes, en consommateurs compulsifs en acheteurs pulsionnels. On nous manipule par nos affects, et comme ceux-ci sont invisibles, il n’y a plus besoin de dictateurs. Nous sommes asservis non plus par la peur et la souffrance mais par nos désirs et nos lubies. Nous ne nous appartenons plus. Cette aliénation n’est plus simplement économique, elle est intime, existentielle. Si l’on ne comprend pas que le néo pouvoir est un pouvoir du désir, on passe à côté de certains ressorts les plus indicibles de notre modernité.

Je pense avoir montré que les valeurs de la bourgeoisie qui triomphe de nos jours au point d’obturer notre imagination sont celles que combattaient les moines. Ce sont aussi les pulsions inauthentiques que j’ai décrites au début de ce texte. La pauvreté s’oppose parfaitement à la soif de richesse qu’excite la pléonexie. L’obéissance est le contraire de la violence qu’excite la soif du pouvoir. La chasteté (entendue dans un sens symbolique) est défaite par l’addiction des luxurueux.

De nouvelles valeurs pour notre temps :
Et pourtant, je ne propose pas un retour aux anciennes valeurs. Je pense que ce chemin spirituel est en partie perdu. La spiritualité est un Non, un renoncement aux 3 grandes perversions du rapport au monde (la pléonexie), aux autres (la violence) et à soi-même (l’addiction). Toute spiritualité est un refus de la puissance et commence par un : »Tu ne feras pas ». Cette structuration négative n’est pas un renoncement au potentiel de l’existence mais un frein à l’hubrys et qui existe dans toutes les cultures (cette soif d’illimité qui est appelée orgueil de l’ange chez les chrétiens et chute d’icare chez les anciens). Toute spiritualité est l’auto imposition par un individu ou une collectivité d’une limite, d’une frontière entre ce qui est licite et ce qui ne l’est plus. L’essence du spirituel réside dans le tabou.
Cela ne passe pas forcément par une religion. Il n’ y a pas besoin d’être chrétien pour ne pas aspirer à devenir milliardaire, tout puissant ou entouré de myriades de femmes belles et désirables.
Je pense que cette limite peut être observée dans toutes les spiritualités humaines.
Par exemple, en Inde, le Dharma impose l’obéissance aux lois de la nature et aux devoirs de la société humaine. C’est une seule et même chose. Ceux qui dévastent l’environnement sont également des êtres assoiffés de pouvoir et des esclaves de leur inconscient, de leur pulsion de domination et de mort. C’est ce que Murray Bookchin avait bien compris. Les sociétés qui respectent la nature respectent aussi les autres humains. Les êtres violents ou pléonexes sont effondrés dans leur rapport à eux-mêmes. Esclaves de leurs propres déchirures et frustrations, ils projettent le néant et la souffrance tapie dans leur âme sur le monde extérieur et dans leurs relations sociales. Ils recherchent le pouvoir et la possession. Ils sont malades spirituellement. Il n’y a plus de satiété existentielle, de joie d’exister. Malades, ils cherchent à empoisonner le monde et les autres. Leur folie les pousse à prendre le pouvoir extérieur pour oublier leur servitude à eux même. Ils sont maîtres des autres et esclaves d’eux-mêmes.

Et maintenant ?
Il faut changer la réflexion en praxis. Mais quel sera le chemin ? Voici une proposition philosophique :
Démocratie, écologie spirituelle, Padeia.
Il me semble que la démocratie athénienne était une ébauche extraordinaire de ce que pourrait être un vrai régime démocratique et non pas une oligarchie marchande qui fabrique le consentement des masses grâce aux médias et à la propagande. Je renvoie à Castoriadis qui renoue avec l’idéal grec en proposant la démocratie directe. Des penseurs fabuleux ont été récemment horriblement conspués pour avoir proposé ce modèle inspiré par la Suisse et les gilets jaunes (le RIC).
Contre la fausse écologie politique et des grandes métropoles, il est temps de renouer avec la spiritualité écologique, qu’elle soit chrétienne (par exemple inspirée par Saint François d’Assise), animiste (il est temps d’arrêter la destruction des peuples premiers et le silence coupable qui l’entoure) ou même athée (et je pense que l’anthropologie anarchiste de Graeber ou de Scott est porteuse de potentialités fabuleuses). Il n’est nul besoin d’être croyant pour être spirituel. La spiritualité est un besoin de limites existentiel et nous avons relâché l’illimité qui nous détruit.
Enfin par Padeia, j’entends une éducation aux désirs sur le mode philosophique d’Epicure. Cet effort doit être la vigilance, l’ascèse d’une vie entière. On ne saurait lutter contre des désirs qui nous asservissent par la volonté seule. Spinoza nous enseigne que seuls des désirs authentiques, conformes à l’élévation de l’individu et à l’aspiration au sublime peuvent s’opposer à des désirs impropres. Il faut apprendre à aimer la vertu. Cela vient en pratiquant la vertu. L’habitude au bien, au bon et au vrai en font une seconde peau. L’empathie, la compassion, la délicatesse, la patience et la douceur sont des valeurs à réhabiliter dans un monde brutal et vulgaire.
Il est bon que l’Homme existe, et de cette certitude nous déduirons que nous pouvons aspirer à redevenir les bergers de l’être, les contemplateurs et les gardiens de la diversité admirables des cultures humaines et de la nature.

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