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 Management de la folie

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MessageSujet: Management de la folie   Management de la folie Icon_minitimeMer 30 Sep - 16:13

Management de la folie





L’envie d’écrire ce petit texte me taraude depuis longtemps. Sur le modèle de l’éloge de la folie d’Erasme, je voudrais aborder l’importance de la folie dans nos comportements dans le monde contemporain et en particulier dans la sphère professionnelle.

Il se pourrait que la folie soit endémique, et que nous soyons des fous pilotés par d’autres fous un peu comme dans le roman Le clans de la lune alphane de P K Dick

Pour paraphraser Levi Strauss parlant des barbares, je dirais que le fou c’est celui qui taxe les autres de folie ou pour le dire en terme Foucaldien, la norme n’est que la folie consensuelle.

Je suis conscient de mes limites : je ne suis pas psychiatre ni professionnel de la psycologie, et je n’ai qu’un point de vue de néophyte à délivrer.

Pourtant, et en particulier dans le monde du travail, j’observe sous les masques policés la folie hurlante et déchainée de mes collègues. En particulier, il me semble que les décideurs et les politiques en particulier sont la quintessence de la démence.

Je voudrais montrer que sous l’invariance de la condition humaine, les spécificités de l’environnement technique ont généré des pathologies spécifiques.



Qu’est-ce que la folie ?

Dans une première ébauche, on pourrait dire que la folie, c’est l’ensemble des comportements qui ne sont pas conformes à la nature humaine.

Par nature humaine, j’entends l’ontologie fondamentale qui nous permet de nous rapporter harmonieusement au monde, aux autres et à nous-mêmes.

Nous ne serions pas uniquement un conatus spinozien, un persistant, une essence, mais une relation, une ouverture sur la société, sur le cosmos, sur nous-mêmes.

En ce sens, la folie serait une coupure, une fermeture, une altération de ce triple rapport ontologique.

Quand on a dit cela, on n'a rien dit. Il ne m’appartient pas de délivrer ici une théorie sur le psychisme qui permettrait une description de la folie.

J’observe cependant que trop souvent les psychologues rabattent les grandes questions existentielles et philosophiques sur la psychologie. J’y vois un véritable réductionnisme.

On peut supposer que si Freud, en lieu et place d’une théorie sur l’inconscient c’était occupé du fond abyssal (et par là j’entends insondable) de la réalité juchée sur une mince pellicule cosmique, on aboutirait aisément à ce qui préfigure largement Freud, soit Schopenhauer et le monde comme volonté et comme représentation. La représentation serait réduite au conscient et la volonté à l’inconscient chez Freud.

Il me semble que souvent – et j’espère que l’on me pardonnera cette suspicion - les psychologues théoriciens ont refusé d’envisager le monde affectif de nos ressentis et de nos passions. Il faut sans doute se tourner vers Spinoza et son éthique pour avoir une théorie des affects. On trouve de nombreuses considérations en ce sens également dans le rhétorique et l’éthique d’Aristote.

Encore une fois, des cerveaux géniaux, mais sans doute un peu secs et autistiques ont rabattu sur l’inconscient ce qui relevait des affects.

Or le cœur a ces raisons que la raison de connait pas comme nous le dit Pascal. Etablir une carte du Tendre eut certainement plus aidé l’humanité à s’orienter dans le dédale de la condition humaine que l’industrie de la pharmacopée et de la psychothérapie.

Ce que n’ont pas perçu les psychologues, c’est qu’il y a une éducation aux affects à réaliser toute sa vie, mais en particulier dans les âges tendres ou les habitudes (bonnes ou mauvaises) peuvent être si rapidement ancrées en nous.

Les parents considèrent souvent que si les enfants sont en bonne santé et instruits, cela suffit. Mais en plus du corps physique et du corps psychologique, il y a aussi un corps affectif qui est invisible et qui n’est pas souvent perçu.

Les puissants sont souvent vigoureux et intelligents et instruits. Il y a pour reprendre Bourdieu tout un habitus, un capital intellectuel considérable qui constitue et perpétue le pouvoir.

Je pense pourtant que de nombreux puissants sont indigents affectivement. Cette indigence, qui n’est pas perçue pour elle-même clôt la satiété existentielle, le plaisir de vivre et d’exister.

Dès lors cette souffrance terrible, cette déchirure existentielle conduisent à l’incomplétude, au manque, à la soif du désir pour reprendre une image bouddhiste.

Le tonneau des danaïdes, percé et toujours vide sera comblé par 3 palliatifs : le pouvoir, l’addiction et la pléonexie (le désir d’accaparement illimité).

C’est la raison pour laquelle les puissants, qui sont des avortons affectifs recherchent toute leur vie prestige, richesse, renommée et fortune et addictions.

Mais le manque n’est jamais comblé.



Je pense avoir montré que ce sont les individus les plus effondrés affectivement qui recherchent et obtiennent le pouvoir.

On peut donc dire comme Shakespeare que le malheur de notre temps est que des fous dirigent des aveugles.



Ces quelques préliminaires semblent être constants à tous les âges de l’humanité.

Il me semble que pour en revenir à notre titre « management de la folie », quelque chose de spécifique se joue à notre époque.

Il s’agit du phénomène technique.

J’ai montré dans d’autres textes que deux techniques sont possibles, des techniques de puissance et des techniques spirituelles.

Les dominants vont obtenir le monopole des techniques de puissance. Ces techniques vont appliquer une violence terrible sur les dominés selon plusieurs axes ;

Les techniques sur les corps font des esclaves. Les techniques sur les esprits (violence symbolique des religions ou des médias) font des aliénés.

La servitude de l’aliéné est plus subtile que celle de l’esclave.

Si les chaînes tombent l’esclave reprend une vie normale tandis que l’aliéné continue son travail (au sens de tripalium).

Mais il existe une troisième violence, plus subtile qui consiste à faire des dominés des violents à leur tour.

Il y a une vrai fabrique de l’indigence affective : on fabrique des amputés affectifs qui par incomplétude seront happés par la violence relationnelle, la servitude addictive, la pléonexie (dont on voit un exemple dans la pulsion de consommation)

Les techniques de puissance ont horriblement progressé et les violents sont donc mesure de transformer les dominés en extension d’eux-mêmes qui n’aspireront qu’ à prendre leur place.

L’idée même d’une intégrité affective s’envole et le terme « amoureux » devient une insulte.



Comment les fous sont-ils managés par d’autres fous ?

Il me semble que la technique contemporaine a généré des pathologies spécifiques.

Voici quelques exemples :

Paranoïa corporatiste : les puissants et les dominés évoluent dans un univers de rapports de force et de calculs. Toute la réalité du monde du travail se résume à des objectifs et  des obstacles, les collègues sont des pions, des outils ou des ennemis. Toute la cordialité chaleureuse inhérente aux rapports humains est évacuée.

Autisme managérial : l’univers n’est plus perçu qu’à travers le filtre des indicateurs quantitatifs, des logiciels de gestion et des écrans. Le manager et ses subordonnés ne communiquent plus qu’ à travers des outils de contrôle et de surveillance. Le règlement est devenu le norme de tous les actes professionnels. Il n’ y a plus de créativité et d’imaginaire collectif

Schizophrénie digitale : comme dans le film Matrix ou les théories de Baudrillard, on se défie du réel. Ce sont les écrans qui disent la vérité du monde. Cette hallucination numérique conduit à une inversion réalité / virtuel. La réalité nue est trop anxiogène. On se replie dans la moiteur des écrans qui disent la réalité. La familles, les amis sont des ombres fuyantes, des mirages.

Addiction au travail : il faut fuir la douleur affective et l’incomplétude existentielle dans le stakhanovisme. Les semaines de 70 heures s’enchainent, entrecoupées d’épisodes de burn out. L’addictif ne vit plus que pour le produit pour lequel il a un mélange d’amour et de haine. Objectivement, il déteste ce que son travail lui impose, mais il ne saurait plus s’en passer. Il est devenu un zombi comme dans le vaudou, un « workaholic » pour reprendre le mot de Graeber.



Je n’ai donné que quelques exemples : il semble évident que ces folies sont considérées comme la norme puisqu’elles permettent d’accroitre la productivité.

J’insiste sur ce point : ces folies ne sont pas des travers du monde du travail ou des effets secondaires, mais la prescription secrète du système managérial qui tend à amplifier l’efficacité et la productivité par tous les moyens.

Le lieu de travail devient un asile à ciel ouvert, une collection de déments quoi joue encore –parfois – la comédie de la normalité. Mais quand ils sont entre eux, les masques tombent et les fous sont fiers de leur folie. Alors, par une prodigieuse inversion, une personne structurée normalement doit feindre la folie dans un environnement de déments.



Les pires d’entre tous

La folie existentielle que j’ai décrit atteint son paroxysme dans la sphère politique, qui est un peu la sphère managériale suprême qui regroupe les alphas des alphas, soit les super prédateurs.

Lorsque le président s’exprime par exemple au peuple français, sous l’écume de la raison et la maitrise faciale et de la diction, c’est la folie pure déchainée.

Je crois que ces grandes allocutions sont l’occasion d’un déchainement absolu de démence et d’irrationnel (qui est le contraire de l’affect structuré).

Lorsqu’on flatte le peuple, on le fait régresser à un stade infantile ou les bébés sont cajolés.

Lorsqu’on désigne un ennemi, on encourage selon les cas la paranoïa, la xénophobie.

Lorsqu’on récompense, on flatte la pléonexie ou l’addiction.

Le corps affectif effondré, l’auditeur n’est plus qu’un girouette passionnelle dont on peut éveiller les passions sur un simple mot, une photo, de façon pavlovienne.

C’est la danse des fous. On passe sur commande des rires aux pleurs, de la dévotion béate à la haine pure et irraisonnée.

Nous sommes comme ce chien dressé à aboyer et mordre sur commande, et qui se souille de contentement lorsqu’il reçoit une caresse de son maître.

Nous sommes faits esclaves en toute circonstance et nous en sommes fiers ;

Nous jouissons d’obéir et d’être soumis. Cette servilité est sans doute la pathologie la plus grave de notre temps, puisqu’elle empêche toute contestation du pouvoir par la majorité des dominés.

Nous sommes dans cette douche ou l’on alterne le brulant et le glacé. Cette torture affective et existentielle produit des vies mutilées ou l’idée même d’un échappatoire ou d’une alternative devient impossible. La folie des puissants est devenue la norme des dominés grâce aux techniques de domestication et de sculpture psychique ;

L’éducation fabrique de petits soldats sur le modèle de la panoptique de surveiller et punir.

Nous sommes dans l’antre des fous dans notre environnement professionnel et les plus atteints donnent des ordres. Les rares qui demeurent encore psychiquement structurés doivent se cacher, jouer la comédie et feindre la folie.

Comme le dit Houellebeck, les rares qui n’ont pas succombé aux sirènes de l’irrationnel rêvent à la possibilité d’une île.

Comme les fous contrôlent le désert du réel, la résistance stoïcienne d’une citadelle mentale proposée par Marc Aurelle devient le seul refuge.
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